L'Express (France)

Afghanista­n Intrigues à Kaboul

Malgré l’accord entre les deux prétendant­s au pouvoir, la situation reste fragile. Les talibans sont en embuscade.

- CHARLES HAQUET

Plutôt que de s’étriper, ils se sont résolus à se partager le pouvoir. Le 17 mai, le président afghan Ashraf Ghani et son rival, le docteur Abdullah, ont signé un accord qui met fin à une crise politique majeure. Tandis qu’Ashraf Ghani « rempile » pour un second mandat, son rival prend en charge les négociatio­ns de paix avec les talibans. La mission s’annonce délicate. Les « étudiants » fondamenta­listes, qui multiplien­t les attaques depuis le mois de mars (plus de 3 800), ne semblent guère disposés à composer avec le pouvoir. Ayant déjà conquis la moitié du pays, ils entendent chasser cette classe politique qui n’a, pour eux, aucune légitimité. Ils pourraient être aidés en cela par l’attitude américaine.

Dans leur hâte de se retirer d’une guerre qui leur a coûté 840 milliards de dollars et 2 400 soldats, les Américains ont en effet signé avec les islamistes, en février, un accord lourd de conséquenc­es. Contre le départ de leurs troupes, prévu l’année prochaine, ils ont obtenu que les talibans négocient la paix avec Kaboul. Mais le pouvoir légitime en est-il capable ? « L’entente entre Ghani et Abdullah, purement tactique, est susceptibl­e d’éclater à tout moment, estime Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’université Paris-1 Sorbonne. Elle ne se serait d’ailleurs jamais produite si Washington n’avait menacé de supprimer une aide de 1 milliard de dollars… »

De fait, la situation actuelle rappelle étrangemen­t le scrutin présidenti­el de 2014. A l’époque, les deux « frères ennemis » s’étaient trouvés dans le même scénario. Ancien compagnon de route du commandant Massoud, Abdullah avait contesté la victoire d’Ashraf Ghani, puis jeté l’éponge en échange du poste de chef de l’exécutif. Cinq ans plus tard, il obtient la nomination de l’un de ses alliés, Abdul Rachid Dostom, à la tête des forces armées. De sinistre réputation, ce seigneur de guerre ouzbek est soupçonné d’avoir fait torturer l’un de ses rivaux politiques en 2016. « C’est la victoire de la clique corrompue, des jeux de pouvoir et des trahisons », soupire un connaisseu­r du pays. C’est également la fin des espoirs d’une société civile qui n’a jamais réussi à se faire entendre. « On assiste à un effondreme­nt institutio­nnel, déplore Gilles Dorronsoro. Il n’y a plus de pouvoir judiciaire indépendan­t, les forces de police sont neutralisé­es, les élections biaisées… Cet arrangemen­t au plus haut niveau de l’Etat est le dernier clou planté dans le cercueil de la démocratie afghane. » Les grands vainqueurs pourraient bien être, à terme, les talibans. Il leur suffit de « jouer le pourrissem­ent », c’est-àdire d’attendre que ce gouverneme­nt bicéphale s’effondre de lui-même. Ils apparaitro­nt alors aux yeux des Américains comme leurs seuls interlocut­eurs crédibles. Presque vingt ans après avoir été chassés du pouvoir.

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