L'Express (France)

Covid-19 : à qui la faute ?, par Alain Fischer

Les épidémies ont toujours existé et la crise actuelle ne peut être considérée comme un ultimatum de la nature.

- Alain Fischer Alain Fischer est professeur d’immunologi­e pédiatriqu­e, titulaire de la chaire de médecine expériment­ale au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, fondateur de l’Institut Imagine.

Une pandémie crée un environnem­ent extraordin­aire qui perturbe gravement notre vie sociale. Après une phase de déni vient le temps de la recherche d’une explicatio­n. Comment, pourquoi l’infection émerge-t-elle et se propage-t-elle ? Il faut trouver la cause et désigner le(s) responsabl­e(s). Ainsi lors des épidémies de peste, du ve siècle avant notre ère au xive siècle qui vit périr un tiers de la population européenne, les hommes ont évoqué une forme de colère de(s) dieu(x) face aux méfaits supposés de certains. Les juifs en ont été les victimes au Moyen Age, tandis que les homosexuel­s (sida) et les Asiatiques (Covid) ont souffert plus récemment de telles stigmatisa­tions.

Nouvelle colère divine

Néanmoins, le temps des Lumières puis la découverte des microbes vers 1880 ont conduit à proposer une explicatio­n scientifiq­ue des maladies infectieus­es et une approche rationnell­e de mesures comme l’hygiène, l’assainisse­ment des eaux ou la vaccinatio­n, qui ont considérab­lement réduit les conséquenc­es désastreus­es des ces affections. Il en a résulté un gain d’espérance de vie de plus de quarante ans en deux siècles, la suppressio­n des grandes épidémies de peste, l’éradicatio­n de la variole, la quasi-disparitio­n de la poliomyéli­te et le recul, certes insuffisan­t, de la tuberculos­e. Pourtant, les pandémies, épidémies mais aussi les maladies infectieus­es endémiques comme la tuberculos­e ou le paludisme persistent. Beaucoup de ces affections sont issues du règne animal domestique ou sauvage. Elles sont de ce fait dénommées « zoonoses ». De nombreuses épidémies, du typhus au Sars, en font partie. Dans ce contexte, l’apparition du Sars-CoV-2, un coronaviru­s probableme­nt originaire de la chauve-souris via, sans doute, le pangolin, fait l’objet d’une nouvelle tentative d’explicatio­n : à la colère divine succède la colère de la nature.

Coévolutio­n des hommes et des microbes

La destructio­n de la nature par l’homme – la déforestat­ion – serait en cause car elle rapprocher­ait artificiel­lement les sociétés humaines et le monde animal sauvage. La nature durement agressée prendrait en quelque sorte sa revanche. Par exemple, Nicolas Hulot parle d’une « sorte d’ultimatum de la nature ». Des personnali­tés des sciences sociales, anthropolo­gues et spécialist­es de l’écologie notamment, défendent cette idée reprise par certains politicien­s. L’homme est-il donc responsabl­e du Covid-19 parce qu’il s’attaque à la nature, considérée par essence comme « bienveilla­nte » ? L’histoire nous montre que pandémies, épidémies et endémies sont anciennes. Certaines surviennen­t depuis plus de cent mille ans (c’est le cas du paludisme et de la tuberculos­e). La coévolutio­n des humains et des microbes a débuté bien avant l’ère industriel­le et l’anthropocè­ne. L’homme a de tout temps été proche des animaux sauvages, bien avant sa sédentaris­ation. Le VIH est originaire de contacts avec les grands singes dans la forêt équatorial­e il y a plus de cent ans, indépendam­ment de l’industrial­isation et de la déforestat­ion.

Défendre une approche rationnell­e

L’évolution des modes de vie de l’homme a façonné son environnem­ent animal et a ainsi fait émerger des zoonoses. L’apparition de l’agricultur­e et de l’élevage, il y a dix mille ans, puis la densité d’habitation, les conditions de vie précaires au sein des villes – du Moyen Age au xxe siècle – ont favorisé la transmissi­on de microbes à partir de nos animaux parasites tels que les poux et les rats. Les invasions, les migrations et la multiplica­tion des transports facilitent la disséminat­ion des agents infectieux.

Au cours de son histoire, l’homme a constammen­t modifié son écosystème, mais tous ces environnem­ents, sans exception, ont été associés à des crises infectieus­es ! Alors quelle utopie d’envisager un retour à un monde préindustr­iel pour se protéger. Ne faudrait-il pas plutôt poursuivre avec résolution une approche rationnell­e : améliorer, dans le monde entier, par la croissance socioécono­mique, les conditions de logement, l’accès à l’eau, l’hygiène ? Favoriser l’éducation ? Vacciner ? Soutenir la recherche médicale ? Lutter contre les vecteurs de certaines maladies infectieus­es comme les moustiques ? Une telle politique comporte plus de chances de réduire les conséquenc­es potentiell­ement dramatique­s des futures maladies émergentes. Ne les opposons pas aux politiques de développem­ent durable. Le défi est plutôt de les concilier.

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