Joe Biden, les failles d’un candidat trop fragile
C. P.
Malgré son avance dans les sondages, l’ancien vice-président n’est pas le mieux placé pour incarner le renouveau.
Enfin, Joe Biden est sorti de son bunker ! Après deux mois à faire campagne depuis son sous-sol pour cause de pandémie, le candidat démocrate a mis le nez dehors à la faveur des manifestations qui ont bouleversé le pays. D’abord pour rencontrer des leaders afro-américains dans une église noire près de chez lui, dans le Delaware. Puis à Philadelphie, où l’ancien vice-président a prononcé un discours fort en faveur des droits civiques.
Ce confinement ne lui a pas porté préjudice. Privé de campagne, Joe Biden mène largement dans les sondages, avec une moyenne de huit points d’avance sur Donald Trump. A la surprise générale, il a fait jeu égal avec le président dans les collectes de fonds en avril. Sa campagne serait-elle une autoroute vers la MaisonBlanche ? Loin de là, tant le candidat démocrate semble fragile.
Depuis la mort de George Floyd, la rue américaine crie sa soif de changement. Mais, à 77 ans, dont quarante-sept passés en politique, Joe Biden ne semble pas le
mieux placé pour l’incarner. Ce modéré avait fondé sa campagne sur la promesse de revenir à la normale après quatre ans d’une présidence Trump sens dessus dessous. « Mais il doit désormais prendre conscience que, pour de trop nombreux Américains, cette normalité est loin d’être suffisante, souligne William Galston, chercheur à la Brookings Institution, un cercle de réflexion proche des démocrates. Biden va devoir transformer le pays en profondeur pour éviter son implosion. » A son âge, le défi est immense.
L’aile gauche du parti démocrate va ainsi le pousser à réformer un système carcéral et judiciaire qu’il a lui-même contribué à mettre en place. En 1994, alors sénateur, Joe Biden rédige une crime bill : allongement des peines, nouvelles catégories de crimes, augmentation du budget des prisons… Cette loi, très dure, doit restaurer l’ordre aux Etats-Unis. Pour ses détracteurs, elle a surtout déclenché une incarcération de masse des populations afro-américaine et latino. « La campagne de Trump va matraquer le rôle de Joe Biden dans cette loi et le désigner comme le principal responsable de l’incarcération massive des AfroAméricains, estime William Galston, qui, à l’époque, travaillait dans l’administration Clinton. Il va devoir revenir sur ses positions, même si cette loi était justifiée dans le contexte des années 1990. »
Paradoxalement, Biden doit aussi affronter des accusations de laxisme. Très vite, le candidat démocrate a pris fait et cause pour les manifestants et contre les violences policières, alors que des émeutes semaient la panique dans le pays. Une position risquée, quand Donald Trump choisit d’emprunter un slogan de Richard Nixon : la loi et l’ordre. « Joe Biden va devoir répéter sans cesse qu’il condamne les violences s’il ne veut pas être assimilé au désordre », prévient William Galston, avant de conseiller au candidat d’ajouter un troisième pilier au précepte : « Pour gagner, Biden doit incarner la loi et l’ordre, mais aussi la justice. »
Enfin, le vice-président de Barack Obama devra se méfier du « syndrome Hillary Clinton ». En 2016, la candidate démocrate avait considéré le vote des Noirs comme acquis et ne leur avait fait aucune promesse spécifique. Le jour du vote, peu d’entre eux s’étaient déplacés, ce qui avait coûté à Clinton plusieurs Etats, perdus par quelques milliers de voix. Sur ce plan-là aussi, Joe Biden a montré des signes inquiétants. Le 22 mai, dans une interview à un média afro-américain, le candidat a lâché ce mot terrible : « Si vous n’arrivez pas à vous décider entre Trump et moi, c’est que vous n’êtes pas Noir. » Une phrase qui sera peut-être oubliée lorsqu’il annoncera le nom de sa vice-présidente, début août. Depuis quelques jours, les milieux politiques américains sont persuadés d’une chose : Joe Biden fera équipe avec une femme noire.
Sur le papier, la formation dispensée dans les police academies inclut pourtant une sensibilisation au respect des droits humains, à la question des relations interraciales, aux protocoles d’interpellation, etc. « Hélas, dès le premier jour d’affectation dans un commissariat, les anciens conseillent systématiquement aux nouveaux, selon une tradition bien ancrée, de se débarrasser de tout le bullshit enseigné à l’école de police », déplore Joseph Ested.
A cela s’ajoute une forme de racisme inconscient. « Il n’arrive jamais que deux policiers noirs soient affectés à une mission en binôme, car leurs supérieurs s’interrogent : peut-on vraiment leur faire confiance ? » Pour le politologue de l’université de Pennsylvanie Rogers Smith, spécialiste des questions d’inégalités sociale et raciale, légiférer permettrait (peut-être) d’en finir avec l’impunité des bad cops, dont 99 % des bavures ne sont pas sanctionnées. « Mais avant cela, il faudrait remédier à un autre problème, plus profond, remarque-t-il. La réalité, c’est qu’une large partie de la classe moyenne blanche souhaite voir la police agir avec fermeté contre les Noirs, car elle éprouve une peur irrationnelle à leur égard. Les policiers le savent et se sentent tout-puissants. »