L'Express (France)

Les Marcheurs ne savent plus où ils habitent

Le parti d’Emmanuel Macron aborde la dernière ligne droite du quinquenna­t dans un état critique. ERWAN BRUCKERT, JEAN-BAPTISTE DAOULAS ET ÉRIC MANDONNET

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ankylosés ? Bien peu de choses, à voir les mines déconfites et à entendre les exaspérati­ons à tous les étages de la Macronie. « C’est redevenu un parti tout ce qu’il y a de plus normal et classique, avec tous les travers des anciens : des décisions qui se prennent d’en haut, des baronnies locales qui se reforment, gérées par des gens pas toujours compétents, bref un colosse aux pieds d’argile », pestait en petit comité la présidente de la commission du développem­ent durable, Barbara Pompili, avant les élections municipale­s. « Un parti classique », à ceci près que beaucoup de parlementa­ires, qui ont presque dans la voix une pointe de nostalgie en pensant à leur passé socialiste ou LR, dénoncent l’imperméabi­lité des travaux entre le QG proche de l’Opéra Garnier et l’Assemblée nationale. Une forme « d’entre-soi » pour les uns, de « vase clos » pour les autres, qui n’est pas nouvelle.

Il y a un an, au lendemain des européenne­s, un groupe de Marcheurs venus de la droite et de la gauche, emmené par le président de la délégation française LREM, Stéphane Séjourné, réfléchiss­ait à tout changer. La structure, le rapport avec les alliés, jusqu’au nom du parti, déjà écorné par un demi-mandat de pouvoir. « Les européenne­s étaient le dernier moment de respiratio­n pour ce parti qui ronronnait déjà, avec de vraies ouvertures vers les écolos, la société civile, affirme l’un d’eux. Finalement, la bascule a été loupée, le mouvement s’est recroquevi­llé sur lui-même. On dirait le Parti socialiste de 2016. Qu’ils se démerdent avec ça maintenant. » Est-il trop tard ? « Il faudrait une bannière équivalent­e à Renaissanc­e au Parlement européen, associant LREM, le MoDem, Agir, les radicaux valoisiens, le PRG et des écologiste­s, afin d’arrêter d’avoir des bureaux exécutifs chacun dans son coin et de prendre des décisions ensemble, espère encore le député de Moselle Ludovic Mendes. Si ça marche au niveau européen, ça peut marcher au niveau français. Cette bannière, il faut la créer dès maintenant pour préparer les départemen­tales et les régionales, et ensuite en faire un marchepied pour le président de la République en 2022. »

Une structure sclérosée, mais également en panne d’idées et de ligne directrice. Maintenant qu’une majeure partie du programme de 2017 est votée, que les crises des gilets jaunes et du Covid-19 ont rebattu les cartes du quinquenna­t, ce qui n’était encore qu’une lacune apparaît aujourd’hui comme

un trou béant. « Macron ne sait plus où il va, le gouverneme­nt n’a plus de feuille de route, et le parti n’a aucune colonne vertébrale idéologiqu­e… Comprenez qu’on se sent tous un peu paumés ! », souffle un député. Après un passage pour rien de Christophe Castaner à la tête du mouvement présidenti­el – lui-même reconnaiss­ait sa difficulté à élargir le « bréviaire du petit macroniste » –, le mandat du nouveau délégué général Stanislas Guerini n’est pas davantage couronné de succès ni de louanges. « On ne sait toujours pas quelle histoire on veut raconter aux Français. On ne sait pas ce que l’on pense sur tout un tas de sujet. En trois ans, on n’a pas été capables de faire ce travail-là. Du coup, on peut se le demander : maintenant que Wauquiez est dehors, qu’est-ce qui nous différenci­e clairement de LR version Jacob ? », éructe, excédée, une cadre du groupe LREM. Ils sont nombreux, en Macronie, surtout chez les anciens socialiste­s, à pointer une hantise du débat interne, de la conflictua­lité, de peur de voir une ligne majoritair­e trop nette – de centregauc­he – se dégager et fermer les portes à de potentiell­es alliances avec la droite. « On a réussi à renforcer l’espace de discussion politique au sein du bureau exécutif du mouvement ; récemment, nous avons par exemple pris des positions sur l’assurance-chômage », se félicite Stanislas Guerini. Avant de nuancer : « Est-ce que cet espace de discussion est suffisant ? Je ne le pense pas. Il faudra continuer de le renforcer. C’est l’objet des conseils territoria­ux, qui font une place, notamment, aux élus locaux et vont donner une plus forte légitimité à nos instances nationales pour porter des discussion­s politiques. »

Faire cohabiter, sur le long terme, autant de profils différents sur la base d’un « progressis­me » peu défini et d’une orientatio­n pro-européenne… Le défi était peut-être trop audacieux. Surtout en croisant les doigts pour que cette grande troupe de socialiste­s, de centristes et d’ex-LR s’entende tant bien que mal en l’absence de sensibilit­és officielle­s. Sécurité, laïcité, immigratio­n, écologie, fiscalité, etc. Les sujets de discorde ne sont toujours pas tranchés. « A l’intérieur du groupe, le clivage gauchedroi­te que l’on a tenté de faire disparaîtr­e est plus présent que jamais », s’inquiète un parlementa­ire. Comment s’étonner, dès lors, que certains construise­nt désormais leur chapelle, dans ce qui ressemble fort à une dynamique de balkanisat­ion de La République en marche. « Le mieux est l’ennemi du bien : pour éviter une stratégie de courants qui, effectivem­ent, instillait une culture du conflit et du clivage en interne, on a instauré une ligne darwinienn­e : chacun pour sa gueule, et le plus fort survit. Les courants ont au moins le mérite d’instaurer une démocratie interne, la constructi­on de collectifs », regrette un député venu du PS. Guillaume Chiche, qui a rejoint le groupe Ecologie démocratie solidarité, s’en est allé. « Pendant trois ans, je n’ai pas compté mes efforts pour faire accepter des orientatio­ns politiques. Chaque fois, je suis passé pour “Chiche l’emmerdeur” qui cherche la lumière, à deux doigts de la déloyauté. Comment voulez-vous que des idées émergent dans ces conditions ! »

Deux hommes ont le dos large et les oreilles qui sifflent. En vrac, un cadre du groupe LREM : « Gilles Le Gendre et Stanislas Guerini n’incarnent rien. » Une députée : « C’est la déliquesce­nce. Gilles a perdu toute crédibilit­é, il le sait lui-même. » Un sénateur : « Je parle mieux la prose araméenne que le guerini moyen. »

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