La guerre de Trump contre Twitter
Le président américain a mis fin à l’impunité des géants d’Internet. Un mouvement de colère qui pourrait faciliter la tâche de Bruxelles. PAR EMMANUEL PAQUETTE
audra-t-il que nous remerciions Donald Trump ? Le locataire de la MaisonBlanche a signé un décret le 28 mai pour mettre fin au statut protecteur dont jouissent les sites Web. Ses relations avec les seigneurs des réseaux sociaux se sont franchement dégradées ces derniers jours. Trump n’a guère apprécié de voir plusieurs
Fde ses tweets contestés publiquement par la plateforme. Le 26 mai, un de ses messages portait sur le vote par correspondance « substantiellement frauduleux ». Trois jours plus tard, il invitait les forces de l’ordre à tirer sur les pilleurs à Minneapolis. La société fondée et dirigée par Jack Dorsey a signalé que le premier tweet était erroné tandis que le second faisait l’« apologie de la violence. De quoi envisager de fermer ce compte ».
De colère, le bouillonnant septuagénaire a abrogé un texte datant de 1996, qui empêchait les poursuites judiciaires contre les plateformes Internet sur les publications des utilisateurs. Cette latitude a fait de la Toile un espace de liberté. Contrairement aux journaux, aux radios et aux chaînes de télévision, en effet, les réseaux sociaux, simples hébergeurs, n’ont pas à contrôler la diffusion des contenus. En cas de signalement, ils doivent en revanche les supprimer. Cette immunité, maintes fois contestée lors de la diffusion de vidéos terroristes, de scènes de suicide et de fausses informations lors des campagnes électorales, a suscité de nombreuses critiques au fil des ans.
Les récents messages du président américain ont créé des tensions jusqu’au sein de Facebook. Des salariés ont peu apprécié la réaction de leur PDG : Mark Zuckerberg a affirmé que son entreprise n’était pas « un arbitre de la vérité » et qu’elle ne modérerait pas les propos du dirigeant de la nation, à l’inverse de Twitter. En signe de mécontentement, certains employés ont cessé le travail, d’autres ont publiquement protesté et même démissionné début juin. Sommé de réagir, « Zuck » a entendu les objections mais est resté droit dans ses bottes.
D’ordinaire, ce type de contenu est identifié, puis enlevé s’il viole les conditions générales d’utilisation. Un exercice sensible, tant les lois et les moeurs changent d’un pays à l’autre, tout comme l’appréciation du sens de l’humour. Ce principe, remis en cause par Donald Trump, ramène le sujet de la responsabilité des plateformes au premier plan. Et sa décision, juridiquement contestée, pourrait bien malgré elle aider le Vieux Continent. L’Europe travaille en effet depuis plusieurs mois sur un nouveau texte visant à contraindre davantage les géants d’Internet. Ni éditeur ni hébergeur, ce troisième statut encore à définir est en discussion avec l’ensemble des acteurs. Thierry Breton, commissaire européen chargé notamment du numérique, vient de lancer une consultation publique auprès de journalistes, de citoyens et d’universitaires pour créer un « Digital Services Act ». En aboutissant à Bruxelles, ce dispositif pourrait permettre à Facebook, Twitter et consorts de le transposer ensuite outre-Atlantique et de reprendre la main face à la MaisonBlanche. Car même si le décret était censuré par les tribunaux, les attaques contre les réseaux sociaux, elles, devraient encore s’intensifier d’ici au 3 novembre, date de l’élection présidentielle.
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