L'Express (France)

Le rendez-vous manqué de Trump avec l’Histoire

Le président des Etats-Unis aurait pu se poser en rassembleu­r de son peuple. Il préfère souffler sur les braises.

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Sur ordre présidenti­el, ils ont fini par rejoindre leurs casernes. Les images des soldats postés devant la Maison-Blanche ont fait le tour du monde et heurté de nombreux Américains. « Une invasion », a réagi la maire de Washington, l’Afro-Américaine démocrate Muriel Bowser. Choquante, en effet, cette vision d’hommes armés dans le plus symbolique lieu de la démocratie américaine. Même Franklin Roosevelt, après l’attaque surprise des Japonais sur Pearl Harbor, en décembre 1941, avait refusé que des chars soient postés autour de la résidence présidenti­elle : il ne voulait pas donner l’impression d’une démocratie en état de siège.

Ces considérat­ions n’ont guère embarrassé l’actuel locataire du lieu – bien au contraire. Car ces hommes casqués et ces barrières ont, en réalité, conforté l’image qu’il veut donner de lui depuis plus de trois ans : celle d’un « président en guerre ». Cette fois, l’adversaire n’est pas Adam Schiff, l’élu du Congrès qui menait à son encontre la procédure d’impeachmen­t, ou Xi Jinping, son homologue chinois, avec qui il a engagé une nouvelle guerre froide. Aujourd’hui, l’ennemi a pris les traits d’un mouvement anonyme, mais profond, qui s’est étendu dans tout le pays après le meurtre de George Floyd, tué de sang-froid par un policier blanc, à Minneapoli­s, le 25 mai. A cinq mois de l’élection présidenti­elle, Donald Trump aurait pu se poser en rassembleu­r. Reconnaîtr­e que les « vies noires comptent ». Et réformer la police, rongée par le racisme. Il préfère s’adresser à ses fidèles, blancs et ultraconse­rvateurs, et souffler sur les braises en stigmatisa­nt les manifestan­ts, souvent pacifiques pourtant : « Quand les pillages commencent, la fusillade aussi », a tweeté, le 29 mai, Trump le pyromane, avant de s’autoprocla­mer trois jours plus tard, avec des accents nixoniens, « président de la loi et de l’ordre ». Et tandis que les manifestat­ions gagnent tout le pays, il traite les gouverneur­s de « faibles » et les exhorte à « durcir le ton » et à « dominer ». L’adage est vieux comme l’histoire des Etats-Unis : les électeurs ne changent jamais de président lorsque leur pays est en guerre. Lincoln a été réélu durant la guerre de

Sécession, Roosevelt, au début de la Seconde Guerre mondiale et George W. Bush a battu John Kerry pendant le conflit irakien.

Trump a compris le message. Les Américains « doivent se voir comme des guerriers », a-t-il lâché le 5 mai dernier. Ses fans adorent. « Il exalte les frustratio­ns de ses supporters, analyse Jennifer Mercieca, professeur­e à l’université de Texas A&M. Cynique et habile, il pourfend les médias et les politicien­s corrompus, détournant l’attention dans un seul but : éviter de rendre des comptes. » Dans un ouvrage à paraître (1), cette experte en communicat­ion décortique les techniques de diversion du 45e président américain, qu’elle compare à un illusionni­ste : « Dans une interview à NBC en 2016, Trump, alors candidat, avouait aimer être comparé à Phineas Barnum, homme de cirque du xixe siècle, mais aussi businessma­n et politicien, surnommé le “Prince des mystificat­eurs” », rappelle-t-elle.

Mais aujourd’hui, le magicien est nu. Chahuté dans les sondages, Trump joue son va-tout face au réveil de la conscience américaine. Droit dans ses bottes, il martèle ses messages de division, au risque de s’aliéner des soutiens. Mais, là encore, gare à l’illusion : « Seuls les militaires retraités osent le contester, remarque Steven Levitsky, professeur à Harvard (2). Quant aux gouverneur­s conservate­urs qui l’ont récemment critiqué, ils se rallieront, le moment venu. »

Ceux qui, d’ores et déjà, « enterrent » Donald Trump sont donc bien imprudents. Car son noyau dur (43 % d’électeurs) n’a quasiment pas subi d’érosion. Contrairem­ent à ses prédécesse­urs, le président n’est jamais monté beaucoup plus haut… mais jamais descendu non plus. En novembre prochain, tous seront là. « Pour eux, Trump est l’homme qui les défend et crache au visage des élites, poursuit Steven Levitsky. Tant qu’il fera le job, ils voteront pour lui. » Même si, d’ici là, le nombre de victimes liées au Covid-19 dépasse les 200 000 et l’économie ne s’est pas redressée. (1) Demagogue for President: The Rhetorical Genius of Donald Trump (Texas A&M University Press. Parution le 9 juillet). (2) Coauteur, avec Daniel Ziblatt, de How Democracie­s Die (Crown, 2018).

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