L'Express (France)

La France a un problème de castes, pas de races

PAR ABNOUSSE SHALMANI L’avenir de notre pays ne dépend pas de l’importatio­n des déchiremen­ts américains, mais bien d’un renouveau de l’universali­sme.

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Depuis le meurtre de George Floyd, un vent de contestati­on, bienvenu et inédit, souffle sur le monde. Si le problème racial empoisonne les Etats-Unis depuis quatre cents ans, ce n’est pas le cas en France, qui, loin d’être exempte de racisme – en témoigne la difficulté des minorités à accéder aux emplois et aux logements, ainsi que les intolérabl­es contrôles au faciès –, doit accepter, et réparer, la trop longue panne de son ascenseur social. Ici, les enjeux relèvent davantage d’une question de castes que de races, davantage d’un renouvelle­ment indispensa­ble des élites que d’une compétitio­n raciale sans finalité autre que la guerre civile.

Née en Iran et exilée à Paris depuis trente-cinq ans, j’ai pu mettre mes pas dans ceux de la France grâce à Toussaint Louverture, au chevalier de Saint-George, à Guillaume Apollinair­e, Joseph Kessel, Chaïm Soutine ou Marc Chagall. Des étrangers, des exilés, des immigrés, des métèques qui ont fait la France. Les nécessités de se reconnaîtr­e dans l’Histoire et de se revendique­r d’un passé commun, couplées à l’universali­sme, ont fait de moi une Française.

L’universali­sme, cette idée révolution­naire qui place l’humain au-dessus de Dieu, des sexes, des races, des religions, est en train de se briser ; cette idée qui fit de l’Hexagone un refuge pour Joséphine Baker, Miles Davis ou James Baldwin ; cette idée qui me fait me reconnaîtr­e autant dans les poèmes d’Aimé Césaire que dans ceux de Lamartine, cette idée est en train de ployer sous les assauts d’un racialisme qui est le nouveau costume de la ségrégatio­n.

C’est un négationni­sme historique que de nier l’existence des Hégésippe Jean Légitimus, Gaston Monnervill­e, Christiane Taubira ou Sibeth Ndiaye, comme c’est être aveugle que d’oublier le Goncourt de René Maran en 1921 ou l’excellence d’un Souleymane Bachir Diagne. Le problème relève certes de l’ignorance, mais aussi d’une réalité nationale : il est plus facile pour un bourgeois de réussir que pour un prolétaire. Avoir les bonnes cartes en main se joue dès l’adresse de l’école maternelle, et il est beaucoup plus ardu pour un gamin né en province ou dans un quartier défavorisé – quelle que soit sa couleur ou son origine ethnique – de s’extirper de sa condition et de se projeter vers l’avenir.

L’avenir de la France dépend d’un renouveau de l’universali­sme, et non de l’importatio­n des déchiremen­ts américains ; il dépend de la reconnaiss­ance des talents, non d’une discrimina­tion raciale – si positive soit-elle ; il dépend de notre capacité de célébrer le cosmopolit­isme, non de la création de frontières, qui nous étouffent et nous éloignent, chaque jour, un peu plus, des vers d’Aimé Césaire : « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommespant­hères / Je serais un homme-juif / Un homme-cafre / Un hommehindo­u-de-Calcutta / Un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. »

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