Donald Trump, le président du chaos
Dans un pays déchiré par la mort de George Floyd, tué par la police, le bouillonnant locataire de la MaisonBlanche semble avoir perdu la main. Il a cinq mois pour la reprendre. PAR AXEL GYLDÉN
Dans un pays déchiré par la mort de George Floyd, tué par la police, le bouillonnant locataire de la Maison-Blanche semble avoir perdu la main. Il a cinq mois pour la reprendre.
Les Etats-Unis n’en finissent pas, comme dans un cauchemar récurrent, de revivre la même scène. Et de se heurter aux contradictions résultant de son passé : dans le « pays de la liberté » (Land of freedom) fondé sur le génocide des Indiens et l’esclavage des Noirs, démocratie et libertés s’accompagnent de ségrégation géographique et de violences policières. La mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans interpellé et étouffé par le policier Derek Chauvin le 25 mai à Minneapolis (Minnesota), a déclenché la plus grande mobilisation sociale depuis les années 1960.
Commencée dans le tumulte du mouvement #MeToo (contre l’impunité des auteurs de violences sexistes), la présidence de Donald Trump s’achève donc dans un climat de révolte face aux brutalités policières et à la criminalisation des Noirs. Plus de deux semaines après les faits, et malgré l’inculpation du bad cop Chauvin, les manifestations, désormais pacifiques, se sont propagées jusque dans de petites villes et au-delà des frontières.
A cinq mois de l’élection présidentielle et après quatre-vingt-dix jours de crise sanitaire (accompagnée de récession et de chômage), l’actualité politique, étourdissante depuis l’accession de Donald Trump à la Maison-Blanche, s’est encore accélérée.
Dans l’histoire de cette présidence, pleine de bruit et de fureur, la date du lundi 1er juin marquera peut-être un tournant. Après plusieurs jours de manifestations, parfois ponctuées d’émeutes et de pillages, le chef de l’Etat ordonne – sur les conseils de sa fille Ivanka – l’évacuation manu militari du Lafayette Square, situé juste en face de la MaisonBlanche. Avec un usage de la force disproportionné, la police débarque sur place, pourchasse des militants pacifiques, cogne sur des journalistes et, en quelques minutes, nettoie la place. L’instant d’après, Donald Trump apparaît sur les lieux et traverse le square, comme John Wayne un saloon, pour se rendre à l’église épiscopale Saint John, toute proche. Là, il brandit une bible pour le besoin d’un coup de com' censé projeter une image de force et de maîtrise de la situation, à même de rassurer son électorat chrétien.
« Cette séquence lui a explosé à la figure d’une manière qu’il n’avait pas anticipée, analyse le politologue Andrew J. Polsky, du Hunter College à New York. C’était un peu comme une cascade de cinéma qui aurait lamentablement échoué. Trump a simplement eu l’air idiot, il s’est attiré les critiques des militaires et a donné l’impression d’un incompétent agissant comme un dictateur sud-américain des années 1970. »
Le 45e président des Etats-Unis aurait-il perdu la main ? « Son problème, c’est qu’il ne connaît qu’un seul mode d’action politique : le double down [NDLR : qui consiste à renchérir sur le tapis vert en misant deux fois plus que son adversaire] », répond Ray La Raja, professeur de sciences politiques à l’université du Massachusetts à Amherst. Or cette méthode, apprise auprès de son avocat et mentor feu Roy Cohn [NDLR : autrefois proche collaborateur du sénateur anticommuniste Joseph McCarthy], ne fonctionne pas à chaque fois. « Dans le contexte actuel, il aurait pu tendre la main et se poser en réconciliateur de la nation, poursuit La Raja. Mais il en est incapable. Pour lui, cela s’apparente à un signe de faiblesse. »
Décrypter le comportement agressif de Donald Trump, formé dans la jungle
impitoyable de l’immobilier new-yorkais, relève de l’impossible. Pour l’historienne Nicole Bacharan, auteure du percutant Monde selon Trump (Taillandier, 2019), « Donald Trump nous fait sortir du champ politique pour entrer dans celui de la psychologie. Car il ne vit que dans le conflit, l’affrontement et la désignation d’adversaires qu’il méprise et insulte. Après avoir eu un mot d’apaisement à l’égard de George Floyd et ses proches, il a aussitôt cherché à s’attaquer aux manifestants, qualifiés d’émeutiers, de truands, de bandits, d’anarchistes, d’antifas et de terroristes. A aucun moment il ne prône l’apaisement, car il aurait le sentiment de ne plus exister.
Le problème, c’est que son instabilité mentale occupe tout l’espace des réseaux sociaux et de la télévision, et entraîne tout le pays avec lui. »
C’est précisément dans l’espoir de cerner l’âme de cet animal politique, extraordinaire au sens premier du terme, que le professeur de psychologie à la Northwestern University (près de Chicago) Dan P. McAdams a rédigé un ouvrage publié ces jours-ci, The Strange Case of Donald J. Trump : a Psychological Reckoning (Oxford University Press), c’est-à-dire « L’Etrange cas Donald Trump. Une évaluation psychologique ». « Il est ce que j’appelle “l’homme épisodique”, explique McAdams. Ce président vit uniquement dans le moment présent. Et, contrairement à nous, il n’a pas le souci de faire de sa vie une histoire cohérente. Chaque épisode, chaque scène, chaque journée représente pour lui un combat qu’il doit remporter. Mais ces moments ne forment pas un tout, et ils n’ont aucun lien entre eux. Peu lui importe d’affirmer le mardi le contraire de ce qu’il a dit le lundi. L’essentiel est de remporter la bataille du moment, par tous les moyens, y compris le mensonge. C’est comme s’il se réveillait chaque matin pour démarrer une nouvelle vie à partir d’une page blanche. Il est comme un boxeur qui monte sur le ring pour des rounds de trois minutes sans se soucier du reste. Ni prospectif, ni rétrospectif, ni introspectif, Donald Trump est incapable de réfléchir à long terme. Purement instinctif et superficiel, il est donc imprévisible, ce qui fait tourner ses opposants en bourrique. »
Aussi n’est-il jamais aussi heureux qu’en période de crise. Car si le désordre déstabilise la plupart des gens, Trump s’épanouit dans le chaos. Cet environnement instable permet en effet à cette force de la nature – il dort cinq heures par nuit – de partir au combat avec un temps d’avance, d’ouvrir de nouveaux fronts sur Twitter, de surprendre ses ennemis par des Blitzkrieg à l’aube, de les harceler, et finalement de les épuiser en créant – pour paraphraser Che Guevara – « un, deux, trois Vietnam ». Tout cela avant même que le camp opposé n’ait eu le temps d’analyser la situation et d’organiser une riposte. Résultat, comme on le dit des Allemands au football, « à la fin, c’est souvent Trump qui gagne », sous les vivats de ses fidèles supporters, qui voient en leur leader un homme certes menteur, mais parfaitement authentique.
Rien ne dit, cependant, que Donald Trump gagnera cette fois encore la bataille politico-médiatique. « Fait significatif : il a échoué à orienter le débat dans le sens où il l’entendait, observe le politologue Andrew J. Polsky. Avec son happening sur le Lafayette Square et ses menaces répétées de recours à l’armée contre les manifestants, Trump entendait installer l’idée qu’il est le candidat de “la loi et l’ordre”, suivant l’exemple de Richard Nixon pendant sa campagne victorieuse de 1968. C’est raté. » Selon un sondage (Wall Street Journal/NBC News), les Américains sont deux fois plus troublés par la manière dont la police a