La tête dans les étoiles Les capsules ne font pas pschitt !, par Stefan Barensky
Le Crew Dragon de SpaceX démontre la pertinence de ce type de véhicule pour envoyer des hommes en orbite.
Stefan Barensky
début de la crise du Covid-19, et bien qu’ayant été toute ma vie un adversaire des conservateurs, je me suis efforcé d’apporter mon soutien au gouvernement. En travaillant avec Tony Blair, j’avais connu mon lot de crises, mais c’était bien loin de ce que nous avons vécu ces derniers mois. Aussi, quelles qu’aient pu être mes opinions personnelles, j’ai pensé que, si j’avais quelque chose de constructif à dire, je le réserverais, en privé, à mes contacts au sein de l’exécutif. Et si je n’avais rien à dire, alors, je me tairais.
Mais, au fil des semaines, cela m’est devenu impossible, tant nos dirigeants m’ont mis littéralement hors de moi, en faisant preuve d’une incroyable incompétence, à la limite de la négligence criminelle. Boris Johnson, avec son indifférence digne de Donald Trump alors que le virus se propageait, qui se disait prêt à aller serrer la main de patients atteints du Covid-19 lors d’une visite à l’hôpital, alors que, ce même jour, les conseillers scientifiques du gouvernement lui enjoignaient d’inciter les gens à renoncer à la poignée de main. Johnson, qui encourageait le public à assister aux grands événements sportifs au moment où les pays voisins entraient en confinement…
Les mensonges ; la manipulation des chiffres sur les tests, au point de faire l’objet d’un démenti cinglant de la part du Bureau national des statistiques ; les changements dans la façon de collecter des données afin de présenter des résultats plus rassurants qu’ils ne l’étaient ; les dissimulations ; les déclarations incessantes sur leur propre santé, tandis que les médecins et le personnel soignant, en première ligne, manquaient d’équipements de protection appropriés;lasuspensiondusystèmedetests,parcequ’ilétaitinsuffisant et dépassé. Et la crise meurtrière dans les maisons de retraite. Johnson, encore, se vantant d’avoir « apparemment réussi à éviter les tragédies auxquelles on assiste ailleurs », au moment où nous rattrapions l’Espagne et l’Italie, au rang de capitale européenne de la mort par coronavirus. La liste est interminable…
Pour moi, une crise peut toujours se définir ainsi : « Un événement ou une situation qui menace de nous submerger, nous ou notre organisation, voire de nous détruire si nous ne prenons pas les bonnes décisions. » Suivant cette définition, le nombre de véritables crises que j’ai traversées en dix ans avec Tony Blair se réduit à cinq : l’épidémie de fièvre aphteuse ; les manifestations contre le prix du carburant ; la guerre du Kosovo ; le 11 Septembre et les guerres qui l’ont suivi, en particulier celle d’Irak. La crise financière planétaire fait aussi clairement partie de cette catégorie.
Les vraies crises de ce genre sont rares. Et plus rares encore dans les économies développées que dans les régions démunies du monde, à cause, notamment, du manque d’infrastructures de ces dernières et des capacités limitées de leurs autorités. Il est fréquent que l’on manifeste une certaine complaisance, parce que l’on a une foi profonde dans son propre système, et que l’on préfère croire les prévisions optimistes plutôt que pessimistes. L’optimisme est une des forces de Johnson. Mais, dans ce cas précis, elle devient une faiblesse fondamentale.
Peu après le début de la pandémie, en me fondant sur nos réussites et en tentant de tirer les leçons de nos échecs avec Tony Blair, j’avais adressé une note aux ministres et aux hauts fonctionnaires à leur demande, sur l’approche qui me semblait la meilleure dans ce contexte.
1. Concevoir, mettre en oeuvre, mais aussi décrire une stratégie claire.
2. Faire preuve de force, de clarté et de constance dans la prise de décisions.
3. Diriger les opérations depuis le centre de pouvoir. 4. S’investir à fond.
5. Faire bon usage des experts.
6. Mettre en place une équipe efficace.
7. Accorder toute leur importance aux moments clefs. 8. Convaincre l’opinion publique.
9. Manifester une authentique empathie envers les personnes touchées par la crise.
10. Donner de l’espoir, mais pas de faux espoirs.
Il n’est pas exagéré de dire que Johnson a échoué sur chacun de ces dix points. Il a obtenu 0 sur 10. Sa stratégie est passée de l’ignorance à l’immunité de groupe et au confinement partiel. Lequel n’était déjà plus vraiment maintenu quand Johnson nous a annoncé que nous pouvions nous réjouir et inviter des gens à prendre le thé dans notre jardin, pourvu que nous respections les règles de distanciation sociale et restions à l’extérieur. A ce stade-là, plus personne ou presque ne l’écoutait, et les plages et les parcs étaient déjà bondés. Et depuis qu’il est revenu aux affaires, il a davantage oeuvré pour sauver son conseiller Dominic Cummings – accusé d’avoir violé les règles du confinement qu’il avait contribué à établir, sans encourir de sanctions [voir, sur ce sujet, page 42] – que pour protéger le pays du Covid-19.
Le centre du pouvoir, réduit en lambeaux par la politique d’austérité et l’exclusion du gouvernement de tous sauf des partisans les plus endurcis du Brexit, chancelle. L’équipe ministérielle est d’une faiblesse désastreuse. Les experts ne sont pas là pour apporter leur savoir, mais pour servir de couverture. Les moments clefs, comme les interventions télévisées pseudo-churchilliennes de Johnson, ont aggravé la confusion qu’elles étaient censées dissiper. Les ministres semblent avoir subi avec succès une opération de pontage de l’empathie, se souciant apparemment fort peu des morts et du deuil, en dehors d’une formule toute faite, robotique, « Ils sont dans nos pensées et nos prières »,
le meilleur slogan de ces trois derniers mois quand il s’est agi de proclamer les mesures de confinement – « On ne recense que 102 cas en Nouvelle-Zélande, mais c’était aussi comme ça en Italie, avant. » Le pays n’a déploré que 22 décès, et il a été le premier à assouplir le confinement. Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni, a enregistré une grave surmortalité, près de 40 000 morts.
En France, j’accorde un 9 sur 10 à Emmanuel Macron et à Edouard Philippe. Le seul point qui leur fasse défaut, c’est le 8, ce qui témoigne moins de leur efficacité en tant que dirigeants face à une crise que du caractère notoirement rétif des Français. Croyez-moi, alors que j’observe jour après jour Johnson et sa bande de ministres désemparés, vous autres, Français, ne savez pas à quel point vous avez de la chance.
Pour distinguer ceux qui s’en tirent le plu mal, il suffit de jeter un oeil sur les chiffres : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et le Brésil occupent le haut du classement des décès. Or qu’ont donc d’autre en commun Boris Johnson, Donald Trump, Vladimir Poutine et Jair Bolsonaro, ces « quatre dirigeants du monde contaminé », comme les a baptisés le Spiegel ? Ce sont des menteurs. Ils rejettent l’avis des experts confirmés, s’entourent de béni-oui-oui et de sycophantes. Ils sont davantage mus par leurs intérêts personnels que par ceux des gens qu’ils sont censés servir. A sa façon, le virus du populisme nationaliste qu’ils partagent est aussi dangereux que celui qui a tué tant de leurs concitoyens.
Je connais Boris Johnson depuis des années, depuis nos débuts dans le journalisme. Plus tard, quand je suis devenu le porte-parole et le directeur de la stratégie de Tony Blair, Johnson venait parfois assister à mes conférences de presse. C’était pour lui l’occasion de renâcler, de plaisanter, sans jamais prendre de notes et tout en défendant des informations qu’il avait inventées, comme le projet de « Bruxelles » d’imposer une taille unique pour tous les préservatifs, basée sur la taille du pénis italien plutôt que sur celle du pénis britannique, beaucoup plus imposante, d’après les nationalistes britanniques. On avait « bien ri », avaient alors dit ses partisans.
Il a atteint le sommet de son parti en persuadant ses membres qu’il était un gagnant, et il a certes beaucoup gagné. Il a remporté le référendum sur le Brexit, conquis le pouvoir, en se posant en ami du peuple contre une élite fantasmée. Un tour de passe-passe remarquable, compte tenu de ses origines privilégiées et de ses coûteuses études à Eton et Oxford. Ce mythe du peuple contre l’élite a été révélé par le scandale autour de Cummings, et parce que ces gens-là ont prouvé qu’ils se considéraient comme autorisés à dicter des lois aux autres qu’ils ne se sentent pas obligés, eux, de respecter. On voit désormais ce qu’est Johnson lui-même : un charlatan. La sagesse populaire veut qu’une crise accouche d’une façon ou d’une autre d’un monde meilleur. C’est loin d’être garanti. Cela n’a pas été le cas de la grippe espagnole, ce le fut davantage de la Seconde Guerre mondiale, mais, grâce aux responsables politiques qui en ont émergé et aux décisions qu’ils ont prises au nom de leurs pays. Ici, au Royaume-Uni, avec le Covid-19 maintenant et le Brexit qui reste à venir, avec les mêmes personnes aux commandes et responsables de la gestion des deux, on peine à envisager autre chose que le déclin. Il m’en coûte de l’avouer, mais j’ai honte d’être britannique.
W« Le centre du pouvoir britannique chancelle. Les experts ne sont pas là pour apporter leur savoir, mais pour servir de couverture. Les interventions télévisées de Boris Johnson ont aggravé la confusion qu’elles étaient censées dissiper »