BlaBlaCar, le dérapage contrôlé permanent
Le leader du covoiturage a été frappé au coeur par l’épidémie. De quoi alimenter les rumeurs sur son état de santé financier. PAR SÉBASTIEN POMMIER
La conversation s’interrompt brusquement. Nicolas Brusson, directeur général de BlaBlaCar, se lève et ouvre la porte à un coursier. Avec ses équipes encore en télétravail, c’est le patron du porteétendard de la French Tech qui doit luimême gérer les livraisons. Au moins, cela veut dire que les affaires reprennent. Car les deux mois de confinement ont mis au point mort l’activité du leader européen du covoiturage. Sans voitures sur les routes, c’est tout le business qui s’est arrêté net. Fini, les juteuses commissions (jusqu’à 25 % sur un trajet) : pas un euro n’est entré dans les caisses. Mais Nicolas Brusson se veut optimiste. « Nous avons la chance d’être dans le digital et sur un modèle économique léger. Ça va repartir. » De fait, l’activité a déjà redémarré, mais en mode dégradé, avec un seul passager à l’arrière afin de respecter les mesures sanitaires.
Il n’en fallait pas plus pour relancer les rumeurs sur l’état de santé de la locomotive française du numérique. Un scepticisme alimenté par l’opacité de l’entreprise sur ses finances : elle ne dépose pas ses comptes depuis quatorze ans. Seule certitude, le fonds suédois Vostok News Venture, qui détient 8,7 % du capital de la licorne française, a décidé fin mars de lourdement dévaluer sa participation : 159 millions de dollars, contre 209 millions trois mois plus tôt. « Une simple correction par rapport à la Bourse, balaie Nicolas Brusson. Nous sommes rentables en France depuis 2014, en Espagne depuis 2015, et en Europe depuis 2016. Sans le Covid-19, nous l’aurions été au niveau global à la fin de 2020. Désormais, nous visons plutôt 2022. »
Preuve de sa solidité, BlaBlaCar n’a pas souhaité faire appel au chômage partiel pour ses ingénieurs, de sorte qu’ils avancent sur leurs projets. L’entreprise peut se le permettre, elle a amassé un joli trésor de guerre à coups de levées de fonds successives : 450 millions d’euros en dix ans. Ce pactole est destiné, notamment, à financer sa folle croissance internationale façon Uber, commencée en 2015. Une campagne durant laquelle l’entreprise a engrangé de beaux succès (en Russie et au Brésil), mais aussi quelques cuisants échecs (en Grande-Bretagne, en Inde, au
Mexique et en Turquie). Autant de filiales déficitaires aujourd’hui fermées, qui lui permettent d’afficher une croissance saine dans les 22 pays où elle reste présente. « On ne peut pas tout réussir, mais nous sommes pleinement alignés sur la stratégie de l’entreprise », soutient Jean-David Chamboredon, patron du fonds Isai, premier investisseur de BlaBlaCar en 2010.
Ces mésaventures internationales ont obligé le groupe à se restructurer. Pour alléger les coûts, une centaine de salariés du siège ont ainsi été priés de faire leurs valises en 2017. Et le top management s’est réorganisé. Frédéric Mazzella (président non exécutif ) et Francis Nappez (ex-directeur technique) ont pris du recul, laissant le financier du trio de fondateurs, Nicolas Brusson, seul aux manettes de l’opérationnel. « La vie d’une société comme la nôtre, très ambitieuse, n’est pas un long fleuve tranquille », lâche ce dernier. Ce changement a surtout permis au plus médiatique des trois, Mazzella, de s’atteler à une autre mission : l’influence. Le Nantais a ainsi mis la main sur l’association France digitale, l’organisation des start-up françaises. « Il a ce côté gourou de la tech qui n’hésite jamais à placer sa boîte. Il a par exemple tout fait pour inclure BlaBlaCar dans le périmètre de la loi d’orientation des mobilités (LOM) votée à l’automne dernier », souffle un acteur du milieu. Le texte intègre en effet le covoiturage dans le financement public et permet à l’employeur de
Depuis 2015 , sa folle croissance façon Uber enchaîne les succès et les déboires