Reprise ardue pour l’Europe de l’espace
La crise sanitaire et la météo ont différé les lancements depuis la Guyane. A un moment crucial pour Arianespace.
Stefan Barensky
convention citoyenne pour le climat a fait des propositions concrètes et souvent frappées au coin du bon sens. Elles sont pourtant décevantes et risquent de faire plus de mal à l’économie que de bien à l’environnement. L’absence de trois dimensions clefs – la géographie, le concept d’externalité, et le signal prix – a appauvri dès le départ la réflexion de ce groupe de citoyens.
La géographie, tout d’abord. L’impact de la France sur le climat mondial est si minime – seulement 1,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) – qu’une politique de réduction limitée à l’Hexagone ne changerait rien au climat, tout en diminuant le revenu national. Le Prix Nobel d’économie William Nordhaus a qualifié ce paradoxe de « mal public ». Au mieux, seuls les plus gros émetteurs peuvent avoir intérêt à agir, car leurs propres populations bénéficieraient d’un changement climatique atténué. Pour nous, la géographie naturelle à laquelle une politique climat doit se référer est l’Union européenne (UE). Certes, la convention citoyenne n’avait pas de mandat européen, mais qu’elle n’ait pas insisté sur cette dimension est étonnant.
La deuxième lacune est celle des concepts d’externalité et de coût d’opportunité. Toute proposition de réduction des émissions devrait être accompagnée d’une analyse coût-bénéfice. Il faut estimer les dommages futurs causés par les émissions, ce qui est difficile : à la différence des polluants classiques comme ceux rejetés dans les rivières, les mers ou l’air, le CO2 n’est pas toxique ; c’est sa concentration croissante dans l’atmosphère qui cause l’effet de serre. Les travaux visant à quantifier ses dommages futurs entrepris depuis les années 1970 par William Nordhaus sont solides. En chiffrant le coût social du carbone, ils permettent de juger de la pertinence d’une proposition dont il faut évaluer l’impact économique complet, et non seulement fiscal. Si le premier est inférieur ou égal à celui des émissions évitées, la proposition passe le test. La convention ne semble pas avoir disposé d’un tel chiffrage, et le coût économique complet en euros par tonne de CO2 a été négligé. Nous ne manquons pourtant pas d’excellents spécialistes du sujet dans notre pays…
Enfin, l’idée qu’un signal prix proportionnel au contenu en GES des biens et services consommés puisse influer sur les comportements paraît avoir été bannie d’office des réflexions du groupe, en raison probablement de l’association entre taxe carbone et mouvement des gilets jaunes. Malheureusement, c’est bien par le prix qu’on peut influencer avec le plus d’efficacité et au moindre coût social producteurs et consommateurs. Voilà un acquis solide de la théorie économique depuis les travaux d’Arthur Pigou en 1920. Mieux, c’est un outil validé par la pratique depuis cinquante ans : la réduction des émissions de dioxyde de soufre en Norvège, des rejets industriels dans les rivières aux Pays-Bas, des émissions d’oxyde de soufre et d’oxydes d’azote en Suède, du gaspillage d’eau potable au Danemark, la quasidisparition des sacs en plastique en Irlande, ont chaque fois correspondu à l’imposition d’une taxe. En excluant les incitations économiques, la convention n’a eu d’autre choix que de se tourner vers les bonnes intentions et la contrainte, ce que l’on va voir avec quelques exemples que nous avons décortiqués.
Côté transports, il est suggéré d’augmenter le forfait « mobilité durable », en faisant payer par l’employeur les frais de transport « doux ». Comme l’équilibre sur le marché de l’emploi est déterminé en partie par le coût du travail, la proposition revient à augmenter le chômage (en raison du prix de la main-d’oeuvre) ou à réduire la rémunération des employés. Cet impact social est ignoré, tout comme celui de la recharge « gratuite » de son véhicule électrique sur son lieu professionnel, qui serait à la fois une augmentation du coût du travail et une dépense fiscale, puisqu’il est proposé que l’avantage en nature ne soit pas déclaré.
Réduire la vitesse maximale de 130 à 110 kilomètres à l’heure sur les autoroutes est proposé sans aucun examen des conséquences économiques. Certaines études suggèrent que le coût implicite de la tonne de CO2 non émise grâce à la réduction de la vitesse, même compte tenu des vies humaines épargnées, serait dix fois plus élevé que la taxe carbone en vigueur, en raison notamment de la perte de temps et donc d’activité pour les usagers.
La proposition de réduire la TVA sur les billets de train fait abstraction des dépenses pour la collectivité – les recettes fiscales manquantes feront défaut à d’autres missions – et du coût social des lignes à grande vitesse, quasi toutes déficitaires et dont l’entretien représente une charge fixe et une production de GES élevées . En l’absence de tout calcul économique, on formule des propositions qui, sous l’apparence du bon sens, cachent des impacts sociaux considérables.
La convention invite à supprimer les avantages fiscaux réservés au gazole, ce qui est un pas dans la bonne direction : les
« L’impact de la France sur le climat mondial est si minime – seulement 1,5 % des émissions de gaz à effet de serre – qu’une politique de réduction limitée à l’Hexagone ne changerait rien au climat »
construction de nouveaux aéroports a le même défaut congénital : aucun calcul économique, aucune estimation du prix implicite de la tonne de CO2 non émise. De plus, cette proposition renforcerait le pouvoir de monopole de la SNCF, seul acteur susceptible de remplacer l’aérien. Il y a fort à parier que le coût supplémentaire pour les usagers – équivalent à une taxe – excéderait la taxe carbone en vigueur sur les carburants.
L’idée d’un impôt sur le kérosène est quant à elle excellente, mais elle se limite à l’aviation de loisir et à la promotion d’une écotaxe européenne. Cette fois, la convention s’est montrée timide. Pourquoi ne pas proposer une taxe carbone égale à celle imposée aux autres carburants, et ce, sur tous les vols intérieurs à l’UE et entrant dans son périmètre ?
Au chapitre « Consommer », la convention propose des substituts imparfaits à une politique de prix, comme rendre obligatoire l’affichage de l’impact carbone. C’est une très bonne idée, mais si on connaît celui d’un produit, pourquoi ne pas le taxer à due concurrence ?
Au chapitre « Produire/travailler », certaines propositions entraîneraient de sérieuses distorsions économiques : conditionner le soutien à l’innovation à la « sortie d’un modèle basé sur le carbone » ne peut que la réduire dans son ensemble, car le futur d’une nouveauté est inconnu, à commencer par son impact sur les émissions. Les propositions de surréglementer l’épargne et de taxer les dividendes ne peuvent que réduire leurs rendements nets, déjà très faibles, et avec eux le financement de ladite innovation. D’autant que leur impact carbone, que la convention n’estime pas, risque d’être très faible.
La proposition d’un ajustement aux frontières de l’Union, c’est-à-dire d’une taxe sur les produits importés selon leur empreinte carbone, est excellente. Mais elle est strictement impossible à mettre en oeuvre si elle ne s’applique pas également à tous les biens produits au sein même de l’Europe. Ce serait alors une mesure purement protectionniste qui entraînerait inévitablement des représailles commerciales. Nous sommes là au coeur de la contradiction fondamentale qui affecte les propositions de la convention : utiliser le signal prix pour les importations, mais non pour la production nationale.
Au chapitre « Se nourrir », la convention semble perdre de vue l’objectif de décarbonation. Encourager la réflexion sur la qualité des repas servis dans les cantines scolaires est important pour la santé publique, mais loin du sujet. L’objectif de 50 % d’exploitations en « agroécologie » d’ici à 2040 pourrait même augmenter les émissions nettes, puisque la baisse du rendement agricole causée par une telle transition obligerait à une augmentation des surfaces cultivées, au détriment des puits de carbone que sont les forêts et les friches.
Quant à la demande de renégociation du Ceta, traité de libre-échange conclu entre le Canada et l’UE, en fonction des objectifs de l’accord de Paris, elle est étrange. Ne faudrait-il pas alors renégocier tous les accords commerciaux qui ne tiennent pas compte de la COP 21, y compris ceux qui favorisent les pays africains, les Etats des Caraïbes ou les proches partenaires de l’UE, pour d’excellentes raisons d’aide au développement ? La proposition d’une taxe carbone aux frontières de l’Union est la seule qui permette de traiter de façon équitable tous les partenaires commerciaux. C’est donc elle qu’il faut inclure dans une renégociation des accords commerciaux, afin de promouvoir un prix du carbone mondial. Mais pour cela, il faut accepter que ce prix soit aussi appliqué à la production intérieure.
En définitive, on aurait aimé que la convention se montre plus ambitieuse et plus rigoureuse, mais le pouvait-elle après s’être coupé les ailes d’avance, en refusant toute référence à l’analyse économique et à son principal résultat, le prix du carbone ?
« Une contradiction fondamentale affecte les propositions de la convention : utiliser le signal prix pour les importations, mais non pour la production nationale »
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