Salariés, le télétravail n’est pas la libération que vous espérez !
Bien que les Français s’enthousiasment pour le travail à distance, ce mode d’organisation pourrait aboutir à de nouveaux conformismes et favoriser les individus qui savent faire leur promotion.
le petit détail qui ravit Johnny Depp : « sa » tour fait 30 centimètres de plus que la statue de la Liberté. Elle culmine à un peu plus de 46 mètres. De là-haut, on domine toutes les vallées verdoyantes autour d’Aspen (Colorado). On a surtout une vue plongeante sur Owl Farm, la propriété du sulfureux écrivain Hunter S. Thompson, l’inventeur du style « gonzo ». C’est en son honneur que la star hollywoodienne a érigé cette tour flamboyante au milieu de nulle part. Ce 20 août 2005, du gigantesque poing rouge posé au sommet de la tour, Johnny Depp s’apprête à disperser les cendres de son ami avec un canon au milieu d’un déluge de feux d’artifice.
La construction de l’édifice et cette petite plaisanterie pyrotechnique auraient coûté la bagatelle de 3 millions de dollars au « pirate des Caraïbes ». « C’est faux !, a-t-il récemment démenti dans une interview au Sunday Independent. C’était 5 millions ! » Au pied de la tour, dans un pavillon spécialement aménagé, 150 invités triés sur le volet ont les yeux levés vers le ciel. Il y a là quelques « bad boys » de Hollywood, Jack Nicholson, Sean Penn ou John Cusack, deux ex-candidats à la Maison-Blanche, John Kerry et George McGovern, une poignée de rescapés des sixties comme Jann Wenner, l’ancien rédacteur en chef de Rolling Stone, sans oublier les amis des ranchs voisins. Dans quelques minutes, Johnny Depp va appuyer sur le bouton actionnant le canon – un bouton en forme de peyotl, clin d’oeil facétieux à la consommation excessive de mescaline de « Dr Gonzo »…
Hunter S. Thompson canonisé ? Voilà une fin qui lui ressemble bien, lui qui n’était pas exactement un saint. Six mois auparavant, jour pour jour, le 20 février 2005, dans cette même maison d’Owl Farm, l’auteur de Las Vegas Parano est assis à son bureau, ruminant des idées noires. Il a 67 ans et lui qui, naguère, arpentait le monde de sa démarche sautillante, son éternel fume-cigarette vissé aux lèvres, ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant. Une déchéance, pour cet homme pétri d’orgueil. « Vous savez, quand vous avez bu comme un dingue pendant cinquante-cinq ans, vous finissez par le payer un jour », dira, philosophe, son fils Juan.
Quelques semaines plus tôt, alors qu’il avait rejoint son copain Sean Penn sur un tournage à La Nouvelle-Orléans, « Hunter » n’avait même pas pu participer à la party de la production, inaccessible en fauteuil roulant. Il était resté au bar, seul, à écluser des bières. Lui qui, d’habitude, était le roi de la fête, aimantant les convives par ses excès et ses récits fascinants ! Lui, l’inventeur du journalisme « gonzo » – dans l’argot des barmans, ce mot désigne le dernier client encore debout à la fin de la nuit. Un journalisme résolument subjectif, qu’il a inauguré dans les années 1960 en suivant une bande de terrifiants
Hell’s Angels. « Ils ont été un peu réservés au début, mais après 50 ou 60 bières, nous avons pour ainsi dire trouvé un terrain d’entente », racontera-t-il plus tard.
Dès lors, pour le magazine Rolling Stone, de conventions démocrates en finales du Super Bowl, le Dr Thompson – comme il aimait à se désigner ironiquement – va promener sa silhouette hautaine, affublé d’un chapeau safari ou d’un short en jean. On le retrouve un jour dans une voiture en train de parler football américain avec Nixon, « cet homme aussi intègre qu’une hyène », un autre endormi sur un matelas pneumatique au milieu d’une piscine de Kinshasa, au Zaïre, alors qu’il est censé couvrir le « combat du siècle » Mohamed Ali-George Foreman. Son journalisme teinté de hooliganisme fait de lui une star. En France, La Grande Chasse au requin est éditée en deux volumes dans la mythique collection Speed 17 des Humanoïdes associés, dès la fin des années 1970.
REMONTANTS ET EXCITANTS
Mais que l’on ne s’y trompe pas : derrière tout le folklore et les excès de Dr Gonzo se cache un écrivain d’une efficacité redoutable. Son excellent biographe, William McKeen, a bien repéré les quelques « trucs » de son écriture* : les déboires personnels de Thompson – réservations égarées, cuites, contretemps – prennent toujours le pas sur le sujet lui-même ; il s’invente souvent un comparse pour pouvoir dialoguer des scènes ; et envoie ses articles par bribes décousues, à charge pour ses pauvres rédacs chef de couturer l’ensemble. On recommande aux lecteurs français son article cruel de 1970 sur le skieur multimédaillé olympique Jean-Claude Killy, reconverti en bonimenteur pour Chevrolet au Chicago Auto Show…
Mais, en ce dimanche 20 février 2005, le Dr Gonzo n’est plus que l’ombre de lui-même. La veille, sacrifiant à son goût maniaque des armes, il avait voulu tirer sur un gong dans sa cuisine, mais avait manqué de toucher Anita, sa dernière épouse, plus jeune que lui de trente-cinq ans. Elle s’était montrée furieuse. Ensuite, il avait passé sa soirée à nettoyer ses pistolets avec Juan, racontera ce dernier dans Fils de Gonzo (Globe).
Alors, ce 20 février, il glisse une feuille dans sa machine à écrire IBM et tape un seul mot au milieu de la page : « councelor » (conseiller). Ensuite, il parle quelques minutes au téléphone avec Anita, partie faire du sport à Aspen. Puis, sans même raccrocher, il empoigne son calibre 45 et se tire une balle dans la bouche. Son fils avait quitté la pièce quelques secondes auparavant. Exit Hunter S. Thompson.