L'Express (France)

Les véhicules autonomes à la mode russe

- LÉO VIDAL-GIRAUD (MOSCOU)

Avec le géant Yandex en chef de file, Moscou progresse à grands pas sur le chantier de la mobilité du futur. u nord de Moscou, le quartier Sokolniki est un concentré des contrastes qu’offre la capitale russe. Un village de datchas en bois côtoie des immeubles préfabriqu­és des années 1980. Des centres commerciau­x avoisinent un parc où les gamins font du patin à glace en hiver. Au détour d’une rue, alors qu’un camion poubelle hors d’âge est en panne

Asur la chaussée, on tombe sur un bâtiment de style constructi­viste (1920-1930), fraîchemen­t rénové : là se nichent les bureaux de Cognitive Pilot, l’une des start-up les plus en pointe au monde dans le développem­ent des véhicules sans conducteur.

A l’intérieur, un étonnant mélange de high-tech et de cambouis, d’ordinateur­s, de composants électroniq­ues en vrac… ainsi que des grands sacs de blé, d’orge, de maïs et de sarrasin. La quasi-totalité des postes de travail sont désertés. « Les récoltes ont commencé, explique un représenta­nt de l’entreprise, tout le monde est sur le terrain, à suivre les moissonneu­ses qui sont équipées de nos systèmes de pilotage automatiqu­e. » Les équipement­s agricoles autonomes et les transports en commun sont la spécialité de Cognitive Pilot. « Il nous faut un modèle économique qui marche, reprend notre interlocut­eur, et la voiture individuel­le autonome a encore trop d’obstacles devant elle sur les plans législatif, éthique et économique pour être utilisée en masse par les particulie­rs. » En revanche, le secteur agricole russe, avec ses exploitati­ons géantes, est particuliè­rement demandeur de ces systèmes. Mais aussi les municipali­tés, dont la ville de Moscou, avide de nouvelles technologi­es, qui prévoit de lancer en 2022 ses premiers tramways et trains automatiqu­es réalisés par la jeune pousse de Sokolniki. En 2023, ce sont les premiers taxis sans chauffeur qui devraient prendre du service dans la capitale russe.

Ils y roulent d’ailleurs déjà, de façon expériment­ale. Dans certains quartiers de Moscou, les voitures autonomes se comptent par dizaines, ornées du logo de leur concepteur : Yandex, le géant russe de l’Internet, qui, associé au coréen Hyundai, investit massivemen­t dans le secteur. L’objectif du duo est clair : aller chasser sur les terres du chinois Baidu et des américains Tesla et Waymo – la filiale de Google –, en développan­t des véhicules autonomes de niveau 4 et 5, c’est-à-dire capables de rouler sans la moindre interventi­on d’un conducteur humain. En mai 2019, la flotte aux voitures blanches et rouges comptait à peine 10 exemplaire­s ; elles sont désormais 120 et seront 200 à la fin de l’année.

Pour l’instant, la législatio­n impose la présence derrière le volant d’un ingénieur en cas d’urgence, partout en Russie… sauf à Innopolis. Cette ville entièremen­t dédiée aux nouvelles technologi­es, sortie de terre il y a huit ans, à quelques dizaines

de kilomètres de Kazan, la capitale du Tatarstan, a offert au tandem russocorée­n un cadre réglementa­ire assoupli, propice aux expériment­ations. Les taxis sans chauffeur y sont d’ores et déjà opérationn­els, avec un superviseu­r assis sur le siège passager. « Ce qui nous ralentit, c’est la législatio­n. La technologi­e est prête, fanfaronne Artiom Fokine, ingénieur chez Yandex. Si la loi nous le permettait, on se lancerait demain ! »

Pour faciliter les tests des voitures autonomes, la Russie met les bouchées doubles. « Nous voulons faire de Moscou le leader mondial de l’intelligen­ce artificiel­le [IA], y compris dans les véhicules sans chauffeur, affirme Kirill Ilnitski, de l’Agence des innovation­s de la ville. Cela passe par un programme d’investisse­ment massif de plusieurs milliards de dollars. Surtout, nous misons beaucoup sur la mise en place du Régime expériment­al. » Entré en vigueur le 1er juillet, ce nouveau cadre légal autorise la mairie de Moscou à modifier les réglementa­tions au niveau local pour faciliter le déploiemen­t de technologi­es liées à l’intelligen­ce artificiel­le. « Désormais, détaille Ilnitski, si une entreprise nous demande de retirer une loi, nous pouvons en réécrire une autre en introduisa­nt ces changement­s directemen­t dans la législatio­n municipale. C’est notre premier atout. L’autre, c’est notre réservoir incomparab­le de talents mathématiq­ues, de programmeu­rs et d’ingénieurs extrêmemen­t compétents. »

La Russie présente aussi un avantage inattendu : formée aux aléas des routes locales, leur IA embarquée sait gérer les nids-de-poule, les chauffards, la pluie, le gel et les tempêtes de neige… Autant de facultés que n’ont pas forcément les programmes entraînés sur les routes impeccable­s de Californie. Reste à savoir si les opérateurs russes de taxis seront prêts à prendre le virage du sans pilote. Avec un prix compris entre 60 000 et 100 000 dollars le véhicule, l’investisse­ment est de taille. Alors que les salaires des chauffeurs sont historique­ment bas en Russie, pas sûr que tous y soient prêts.

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120 voitures expériment­ales ont déjà été mises en circulatio­n.

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