Zineb El Rhazoui : « Nous vivons dans une terreur intellectuelle »
Alors que s’ouvre le procès des attentats de janvier 2015, l’ex-journaliste de Charlie Hebdo dénonce les intimidations de l’islamisme, qui étouffent la liberté d’expression.
débattu en toute honnêteté, sans cette chape de silence et de censure de plus en plus pesante qui veut étouffer toute critique de l’islam.
Cette « chape de silence » que vous ressentez a-t-elle, selon vous, été imposée par la peur, par l’idéologie, par la pression du communautarisme ?
En France, nous vivons aujourd’hui dans un climat de terreur intellectuelle. L’islamisme avance avec toute sa panoplie d’outils et de stratégies. Vous avez, d’un côté, des terroristes comme les frères Kouachi, dont le message est simple : vous dessinez le Prophète, et l’on vous passe à la kalachnikov. Mais, de l’autre, vous avez aussi des imams pseudo-modérés qui condamnent le terrorisme, mais réclament la même chose que les terroristes, c’est-àdire que nous renoncions à une liberté chèrement acquise ; celle de blasphémer. Qui peut prétendre aujourd’hui que ce droit au blasphème est respecté lorsqu’il concerne l’islam ? Ce droit, nous l’avons, certes, sur le papier, mais, dans les faits, nous l’avons perdu. Ceux qui l’exercent vivent d’ailleurs, comme moi, sous protection policière. En somme, en France, on vous dit que vous pouvez blasphémer, mais à vos risques et périls. Cela devrait quand même nous interpeller.
S’il y avait aujourd’hui une nouvelle affaire des caricatures, pensez-vous que des journaux français les publieraient comme en 2006 ? Malheureusement, les journaux qui l’ont fait à l’époque étaient déjà extrêmement rares, en France comme ailleurs dans le monde. Toutefois, le climat s’est encore considérablement crispé depuis l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo. On en arrive à des situations où un journal
comme le New York Times préfère ne plus publier de caricatures du tout sous prétexte que cela « heurterait les susceptibilités ». Quand on ne veut vexer personne, on ne fait pas ce métier ! Faire le constat de cette terreur intellectuelle serait déjà une avancée, mais, hélas, ceux qui s’y soumettent sont dans le déni. Ils préfèrent dire « nous, nous ne voulons pas blesser les musulmans », avec ce sous-entendu que, si Charlie s’était abstenu de le faire, mes collègues n’auraient jamais été tués. Autrement dit, les journalistes de Charlie Hebdo l’ont bien cherché. J’ai toujours répondu aux journalistes qui me parlaient de « blesser » les musulmans que mes collègues à moi, quand ils n’étaient pas lourdement blessés par balles, ils étaient carrément morts. En janvier 2015, des écoliers et des collégiens ont refusé d’observer la minute de silence pour leur rendre hommage, les discours nauséabonds n’ont même pas attendu une semaine pour remonter des égouts, portés par ceux qui ont dit « nous ne sommes pas pour les attentats, mais nous ne sommes pas non plus Charlie Hebdo ».
De qui parlez-vous ?
Je pense avant tout au Conseil français du culte musulman, qui a harcelé judiciairement Charlie Hebdo pendant des années. Lorsque ses membres ont vu que ça ne fonctionnait pas, ils sont passés à la fibre pleurnicharde en se disant victimes de racisme. Une semaine après la boucherie, ils se sont plaints qu’on redessine le Prophète dans le numéro des survivants où Luz l’avait représenté, la larme à l’oeil, avec une pancarte « Je suis Charlie, tout est pardonné ». Une semaine ! Rendez-vous compte que le seul message de pardon est venu de la part de ceux dont le sang n’avait pas encore séché, et non de la part de ceux qui prétendent être les dépositaires de la grâce d’Allah en France. Je pense également au CCIF [NDLR : Collectif contre l’islamophobie en France], dont l’existence est une insulte pour nous, les parties civiles de ce procès, car ce collectif milite à grands frais contre un « délit » qui n’en est pas un en droit français : l’imposture intellectuelle nommée « islamophobie ». Alors même que mes collègues de Charlie ont justement été tués pour leur supposée islamophobie ! Le CCIF continue imperturbablement, cinq ans plus tard, à distribuer des accusations d’« islamophobie », accrochant impunément des cibles dans le dos de ceux qui critiquent l’islam. Je pense aussi à Rokhaya Diallo, qui, au lendemain de l’incendie au cocktail Molotov contre les locaux de Charlie en 2011, a signé une pétition minimisant cette agression et accusant l’hebdomadaire de racisme. Je pense à l’ancienne ministre Rama Yade, qui, après la publication de caricatures du prophète Mahomet en 2012, a déclaré que « c’était la Une de trop » et qu’il s’agissait d’une « provocation ». Je pense à Edwy Plenel, qui, le 17 janvier 2015, a participé à une conférence avec Tariq Ramadan, assurant qu’ils n’avaient « aucun désaccord sur le fond ». Je pense à Danièle Obono, à qui le sang de mes amis et les éclats de cervelle sur le plafond de la salle de rédaction n’ont pas réussi à arracher une larme, tant sa complaisance envers les bourreaux est grande. Je pense à tous les journalistes qui avaient osé écrire quelques semaines ou quelques mois avant la tuerie que la protection policière de Charb était indue et qu’elle coûtait cher au contribuable, sans que l’honnêteté – ou peut-être tout simplement l’intelligence – ne leur souffle une seconde que c’est bien l’islamisme qui plombe le budget public, et non un dessinateur jovial et engagé. Je pense aussi à Virginie Despentes, qui a mis sa plume distinguée au service de deux ignobles tueurs – et par extension à la richissime machine
de guerre internationale qui les a armés – sous prétexte qu’ils seraient « morts debout » à cause du « désespoir ». Tous ceux-là n’ont certes pas de sang sur les mains, mais ils en ont sur la conscience. Honte à eux de nous avoir trahis. Je ne leur pardonnerai jamais, car, entre eux et moi, il y a le sang des innocents.
Après la tuerie du 7 janvier 2015, un slogan a vite émergé sur les réseaux sociaux, « Je suis Charlie ». Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
Pour les 4 millions de personnes qui ont défilé le 11 janvier, « Je suis Charlie » voulait dire leur attachement à un certain idéal de liberté et leur refus que le terrorisme islamique ne se déploie en France pour nous imposer sa sainte psychose. « Je suis Charlie », c’est aussi une façon de dire que
Charlie Hebdo est un morceau de la culture française. « Comment ont-ils pu tirer sur Cabu ? » se sont demandé nombre de Français qui avaient grandi avec lui dans
Récré A2 aux côtés de Dorothée. Cabu, c’était le mec le plus timide du journal, plongé avec des madeleines et du thé dans ses dessins, baissant le regard. Beaucoup de mes amis qui ont la cinquantaine ont connu leurs premiers émois avec les dessins érotiques de Wolinski. Même pour ceux qui ne le lisaient pas, Charlie Hebdo
était une part de chaque Français. Plus franchouillard que ce journal, tu meurs ! C’est un hebdomadaire unique, à la fois anticlérical, un peu gaucho sans être dogmatique, libertaire, avec un humour parfois très pipi-caca, mais qui nous faisait tellement rire de nous-mêmes et des drames du monde. Dire « Je suis Charlie », c’est dire « Je suis français ».
Certains, comme Eric Zemmour, prétendent qu’il n’y a pas de différence entre islam et islamisme. Selon eux, il n’existe pas de musulmans séculiers. Que leur répondez-vous ?
Les musulmans ne sont pas un bloc monolithique. Même si on reçoit une éducation islamique, on peut choisir de s’en émanciper peu ou prou. Dans la vie, les musulmans ont des pratiques très variées et se 8 février 2006 Publication dans
des caricatures déjà parues dans un journal danois. définissent par bien d’autres choses que le seul islam. En revanche, du point de vue du dogme, le bon musulman n’est pas défini par des critères laïcs. Ce qui fait de lui une personne vertueuse, ce n’est pas sa gentillesse, sa personnalité, son intelligence ou le fait qu’il excelle dans son métier, mais sa pratique religieuse, car l’islam est une orthopraxie. Le bon musulman est celui qui fait ses cinq prières, qui montre à Dieu qu’il est pieux, qui se voile de pied en cap quand il est une femme… Eric Zemmour a raison quand il dit que le modèle républicain français est supérieur à l’islam. En revanche, je suis en désaccord complet avec lui dans sa posture de repli : il ne voit pas que ceux qui sont le plus véhéments et le plus courageux, ceux qui ont 22 mars 2007
Philippe Val, directeur de poursuivi par des associations musulmanes, est relaxé. 2 novembre 2011 Incendie des locaux de ; le journal voulait titrer le numéro du 2 novembre « Charia Hebdo ». les analyses les plus décomplexées du phénomène islamiste sont souvent des gens issus du monde musulman. Ce sont eux qui prennent les plus grands risques pour dire ce qu’ils pensent. Ils vont en prison, sont condamnés pour blasphème, tabassés, exclus de leur famille, et parfois tués. La France ne peut, ne doit pas se couper de ces personnes-là. Car elle est pour eux une inspiration, un modèle, un havre de paix, un paradis. Elle doit rester la Mecque de ces hérétiques de l’islam qui admirent nos valeurs.
Cinq ans plus tard, la France est-elle encore Charlie ?
Il est aisé d’en appeler à ce concept de majorité silencieuse, mais je pense vraiment que 7, 8, 9 janvier 2015
Les attaques terroristes à Montrouge et l’Hyper Casher font en tout 17 victimes, dont 5 dessinateurs. 2 septembre 2020 Ouverture à Paris du procès des attentats de janvier 2015. Les audiences s’étaleront jusqu’en novembre.