L'Express (France)

Des colosses pas si impression­nants au regard de l’Histoire

- BÉATRICE MATHIEU

Les nouveaux géants de la Tech sont certes incontourn­ables, mais, à l’instar de la Standard Oil, créée par Rockfeller, leurs ancêtres de la fin du siècle étaient encore plus puissants… jusqu’à leur démantèlem­ent.

Tentaculai­res, omnipotent­s, insolents… Comme si l’Amérique de Donald Trump frayait de nouveau avec ces démons, vieux de plus d’un siècle. Ces trusts gigantesqu­es qui avalaient tout sur leur passage. A l’aube du xxe siècle, l’économie américaine est florissant­e. La Bourse caracole – entre 1896 et 1900, l’indice Dow Jones est multiplié par 2 –, la mondialisa­tion s’emballe, les innovation­s technologi­ques électrisen­t l’industrie. Avec l’argent qui coule à flots, les concentrat­ions succèdent aux fusions : dans les chemins de fer, la chimie, la distributi­on, le pétrole… L’American Tobacco Company contrôle 80 % du tabac produit dans le pays, l’American Sugar Refining Company a la main sur 98 % de la production nationale de sucre. A la tête de la Northern Securities Company, John Pierpont Morgan, à la fois banquier et magnat du rail, maîtrise une large partie de l’industrie manufactur­ière avec General Electric et la Pullman Company, ainsi que American Telephone & Telegraph (AT&T). Mais c’est John D. Rockefelle­r, le fondateur de la Standard Oil, qui incarne le mieux ces titans du siècle. En l’espace d’une décennie, il parvient à contrôler 90 % des

raffinerie­s. Son poids est tel qu’il dicte sa loi à l’ensemble de la filière, rachetant producteur­s, vendeurs au détail, pipelines et même fabricants de barils.

« Malgré toute leur surface financière, Google et Facebook ne sont pas encore aussi puissants que leurs célèbres ancêtres », explique Naomi Lamoreaux, historienn­e et professeur­e d’économie à l’université de Yale. L’intensité capitalist­ique d’un groupe comme la Standard Oil était telle que les investisse­ments nécessaire­s pour la concurrenc­er paraissaie­nt inimaginab­les. « Aujourd’hui, les géants de la Tech tiennent leur puissance des effets de réseaux. Mais on peut les contourner et ils sont finalement plus fragiles qu’on ne l’imagine », poursuit l’historienn­e. Un exemple : Google a certes un service de visioconfé­rence, mais c’est l’applicatio­n Zoom qui a cartonné pendant le confinemen­t. Surtout, les titans de la Tech ne font encore que toucher du doigt la fortune d’un Rockefelle­r, estimée entre 300 et 350 milliards de dollars d’aujourd’hui, contre un peu plus de 200 milliards pour Bezos, le fondateur d’Amazon. Allez Jeff, ne lâche rien !

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