L'Express (France)

La Big Tech à l’assaut des déserts numériques

- EMMANUEL BOTTA

Les géants américains de la Tech se sont lancé un défi : relier à Internet les près de 3 milliards de personnes qui ne le sont pas encore. Musk fait la course en tête.

Un ballet lumineux dans le ciel de printemps. Ce vendredi 24 avril, alors que le soleil vient de se coucher, la France confinée voit parader une suite de points blancs scintillan­ts. Un étrange « train d’étoiles » qui fait le spectacle quelques dizaines de secondes, avant de disparaîtr­e. Nul salut martien derrière cette cohorte lumineuse, mais la constellat­ion de satellites Starlink développée par SpaceX, l’entreprise spatiale d’Elon Musk.

L’objectif de cette constellat­ion comptant déjà 500 petits satellites placés en orbite basse ? Apporter Internet à haut débit à des prix compétitif­s partout où les réseaux terrestres ne peuvent aller (océans, montagnes, déserts, forêts…), pour des questions techniques ou de rentabilit­é. Sur les 7,8 milliards d’êtres humains peuplant la planète, près de 3 milliards n’ont en effet toujours pas accès au Web.

Mais le fantasque milliardai­re n’est pas seul dans cette course aux étoiles. Plusieurs mastodonte­s américains de la Tech lui ont emboîté le pas. Amazon, avec son projet Kuiper, vient d’obtenir l’aval de la Commission fédérale des communicat­ions (FCC) pour lancer plus de 3 000 satellites. Google et son programme Loon misent sur des ballons gonflables pour connecter la planète – 35 de ces dirigeable­s permettent déjà à des villages des montagnes kenyanes 9,7 % 90,3 % 28,5 % 71,5 % 12,8 % 57,8 % d’accéder à la 4G. Facebook, enfin, teste depuis plusieurs années des drones solaires et semble également séduit par l’idée d’une constellat­ion. « Ils viennent tout juste de lancer leur prototype avec le lanceur italien Vega », précise Maxime Puteaux, spécialist­e de l’industrie spatiale à Euroconsul­t.

Elon Musk a néanmoins pris une nette avance sur le peloton. Celui qui dirige également Tesla a ainsi annoncé que son réseau allait être bientôt disponible pour les bêtatesteu­rs nordaméric­ains, le lancement commercial étant prévu pour 2021. Et l’infatigabl­e Américain pense déjà à la prochaine étape : il a demandé l’autorisati­on à l’Union internatio­nale des télécommun­ications de déployer à terme 43 000 engins, afin de couvrir l’ensemble de la planète !

Le marché américain pourrait bien se révéler décisif dans cette course de fond, puisque la FCC a débloqué une subvention de 20 milliards de dollars pour connecter les campagnes à l’Internet à haut débit. « C’est de l’argent quasi gratuit pour accélérer son développem­ent ; presque tous les opérateurs, y compris de télécoms terrestres, se battent pour avoir une part du gâteau », souligne Maxime Puteaux.

Reste que les ambitions réelles des géants de la Tech ne sont pas encore parfaiteme­nt lisibles, à l’exception de celles de Starlink, qui veut clairement se poser en

Pourcentag­e d’habitants ayant accès à Internet, par continent, en 2020 87,2 % 29,2 % 42,2 % (1,77 milliard) challenger des opérateurs télécoms, avec une offre totalement intégrée (lanceurs, satellites et gestion de la flotte). « Cela fait vingt ans qu’ils en rêvent tous, mais Google s’y est déjà cassé les dents avec la fibre », rappelle Olivier Ezratty, consultant en nouvelles technologi­es. « Ce qui est certain, c’est qu’ils espèrent pouvoir aspirer des tonnes de data, le nouvel or noir », poursuit Philippe Boissat, du cabinet de conseil 3i3s. L’armée américaine suit la bataille d’un oeil attentif. « Elle a des troupes dans le monde entier, ça l’intéresse forcément de pouvoir centralise­r tous ses réseaux chez un compatriot­e », résume François Chopard, PDG de l’accélérate­ur aéronautiq­ue Starburst.

Et l’Europe, dans tout ça ? Elle aurait pu revenir dans la course en volant au secours de la constellat­ion OneWeb, lâchée par le japonais Softbank, mais c’est le gouverneme­nt britanniqu­e, associé au congloméra­t indien Bharti, qui s’en est porté acquéreur pour 1 milliard de dollars. Pas de quoi faire trembler Musk et ses acolytes, qui portent leur regard plus à l’est, vers la Chine, où quatre projets de constellat­ions sont en phase de test. Un embouteill­age spatial qui inquiète les astronaute­s, en raison des débris que cela va engendrer, et fait enrager les astronomes, à cause de la pollution lumineuse. Des dommages collatérau­x, comme disent les forces américaine­s.

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