L'Express (France)

Le mirage du démantèlem­ent

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Imaginer le découpage des Big Tech relève de la pensée magique, souligne l’économiste Joëlle Tolédano, qui publie un essai sur le sujet*.

Face à la puissance des jeunes géants du Net, à leur capacité à toujours rebondir en élargissan­t leurs champs d’action, leurs territoire­s et leurs parts de marché, le démantèlem­ent est parfois brandi comme la solution ultime. Puisque le droit de la concurrenc­e n’y parvient pas, que les réglementa­tions sont contournée­s ou détournées à leur profit, et que les Gafa imposent leurs propres règles aux marchés, faisons disparaîtr­e le problème en organisant leur démantèlem­ent! Ou même, encore mieux, les Américains vont le faire pour nous.

N’y comptons pas ! Il n’y a aucune chance, à un horizon raisonnabl­e, qu’un tel scénario se produise aux EtatsUnis. A la fois parce qu’il n’y a pas consensus – ni économique ni politique –, que le sujet est techniquem­ent compliqué, et que les conséquenc­es sont contestées.

Le découpage de Facebook est probableme­nt le seul où un consensus pourrait être envisageab­le. Il existe un schéma relativeme­nt simple, celui de la transforma­tion de Facebook, WhatsApp et Instagram en entités concurrent­es. Ce pourrait être acceptable politiquem­ent, relever de décisions strictemen­t juridiques remettant en cause les acquisitio­ns de WhatsApp et Instagram, sans rencontrer d’opposition majeure des utilisateu­rs. En revanche, les scénarios de démantèlem­ent des autres Big Tech sont juridiquem­ent bien plus délicats, et leurs effets encore moins évidents. Dans le cas d’Amazon, séparer son activité de « place de marché » – où plus de 2 millions de commerçant­s vendent leurs produits – de celle de vendeur en direct ne produirait très probableme­nt pas le déverrouil­lage nécessaire, alors que perdurerai­ent bien d’autres pratiques au moins aussi préjudicia­bles.

De fait, la prudence est de mise. Quand on imagine un scénario de démantèlem­ent, deux procédures sont imaginable­s. La première, judiciaire, serait longue et incertaine – la référence fréquente au désossage du géant des télécommun­ications oublie souvent qu’entre le début de la procédure,en 1982, et la propositio­n d’autodissol­ution, huit années se sont écoulées. La seconde, législativ­e, nécessiter­ait, eu égard à l’importance des enjeux, un accord bipartite au minimum. Hypothèse improbable.

Des mesures pourraient certes être prises par le Congrès pour contrôler les excès des géants du numérique. Surtout si Joe Biden est élu à la MaisonBlan­che : il s’appuierait alors sur les propositio­ns que devrait faire très prochainem­ent le député démocrate David Cicilline, qui a présidé une commission dont les conclusion­s pourraient être consensuel­les. Mais pronostiqu­er un accord politique de plus

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S’il était élu, Joe Biden pourrait vouloir contrôler les géants du numérique.

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