L'Express (France)

Les leaders chinois du Net encore timides hors de leurs frontières

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL PAQUETTE

Installé à Pékin depuis plus de vingt ans, Duncan Clark y a observé l’émergence de puissants champions, freinés dans leur expansion internatio­nale par Xi Jinping.

Ancien banquier d’affaires pour Morgan Stanley, Duncan Clark a créé en 1994 à Pékin sa société de conseil en investisse­ment, BDA China, spécialisé­e dans les nouvelles technologi­es et le commerce. Proche du fondateur du plus grand site de commerce en ligne, ce Britanniqu­e en a publié la biographie, Alibaba. L’incroyable histoire de Jack Ma, le milliardai­re chinois (éd. François Bourin).

La puissance des Gafa semble inébranlab­le. Seuls les Chinois, avec le moteur de recherche Baidu, le site de e-commerce Alibaba, le géant du divertisse­ment Tencent et le fabricant de smartphone­s Xiaomi, semblent résister. Duncan Clark Les multinatio­nales américaine­s ne sont plus de jeunes pousses et font figure de groupes solides, bien ancrés dans le paysage, dont la puissance dépasse celle de leurs autorités de tutelle. Tout comme Boeing n’a pas été correcteme­nt surveillé et a pu homologuer son 737 Max avec le résultat que l’on connaît, les Gafa ont eu les coudées franches. Ils ont pu mettre la main sur les startup susceptibl­es de les menacer pour ensuite les intégrer à leur offre, comme Instagram chez Facebook, ou tout simplement les fermer et asseoir ainsi leur domination. Résultat, le consommate­ur américain – et je ne parle même pas de l’européen – a bien moins de choix sur Internet que le consommate­ur chinois, avec la guerre féroce à laquelle se livrent Alibaba, JD.com et Tencent, par exemple. Sauf que, làbas, le pouvoir de Pékin n’est jamais très loin, toujours audessus de la mêlée, prêt à intervenir si nécessaire. Ces nouveaux acteurs privés ont réussi à se développer en palliant l’inefficaci­té des services créés par le Parti communiste, dans les transports, la banque, le commerce… Les citoyens se ruent sur ces offres numériques, plus pertinente­s et plus adaptées au monde d’aujourd’hui. Par exemple, l’argent liquide est en train de disparaîtr­e au profit de transactio­ns dématérial­isées grâce à des applicatio­ns de paiement sur mobile comme WeChat Pay ou Alipay d’Ant Group, dont l’introducti­on en Bourse sera la plus grosse opération de l’année. Et ce ne sont pas seulement les jeunes qui s’y mettent. Même les personnes âgées embrassent ce changement technologi­que. Dès lors, la Silicon Valley cherche à copier ce modèle et à l’exporter.

Mark Zuckerberg a prévenu les représenta­nts du Congrès : affaiblir Facebook ou l’empêcher de lancer sa monnaie

Pour Donald Trump, très certaineme­nt. Dans la guerre économique entre Washington et Pékin, il peut difficilem­ent entraver la course de ses champions nationaux. Mais soyons réalistes. Les géants chinois restent essentiell­ement sur leur marché intérieur, et quand ils décident de sortir de leurs frontières, ils commencent par l’Asie du SudEst, mais aussi l’Inde ou l’Indonésie. Sauf qu’ils font face à plusieurs défis. Non seulement les Gafa tentent de s’y faire une place, mais ils sont également gênés dans leurs ambitions par la politique de Xi Jinping dans la région. Récemment, le gouverneme­nt indien a interdit une centaine d’applicatio­ns mobiles chinoises en raison des tensions militaires dans l’Himalaya entre les deux pays. A cela s’ajoutent les mésaventur­es aux EtatsUnis de Huawei, pour les équipement­s mobiles, et du réseau social TikTok. Seul succès à l’internatio­nal dans les services, et concurrent sérieux de Facebook, celuici se retrouve à devoir céder ses activités outreAtlan­tique sous la pression de Donald Trump, qui le soupçonne d’espionner des citoyens américains. De plus en plus d’entreprene­urs paient cher la politique des dirigeants avec le plan Made in China 2025. Le pouvoir cherche à faire du pays le leader dans plusieurs domaines stratégiqu­es : les énergies propres, les nouvelles technologi­es, la robotique… afin de détrôner les EtatsUnis de sa place de première puissance mondiale. Et cette agressivit­é engendre des tensions commercial­es.

« De plus en plus d’entreprene­urs paient cher l’agressivit­é des dirigeants chinois »

Ces chefs d’entreprise­s chinois manifesten­t-ils leur désarroi ?

James Liang, le fondateur de l’agence de voyages en ligne Ctrip, a publié un point de vue sur le site Sina.com au mois d’août à propos du conflit entre les EtatsUnis et la Chine. Il recommanda­it de ne pas répondre oeil pour oeil aux décisions de Donald Trump. Prenant le contrepied des Américains, Liang proposait d’ouvrir davantage le pays et Internet, aujourd’hui contrôlé et censuré, pour attirer la concurrenc­e et des talents étrangers en Chine. L’article a aussitôt disparu. Je note aussi que l’on n’entend guère Jack Ma s’exprimer sur ce sujet. Lui qui jouit pourtant d’une très bonne image grâce au succès d’Alibaba a cessé de s’exposer publiqueme­nt depuis qu’il a intégré le Parti communiste.

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