L'Express (France)

Estrosi, un Bayrou à la niçoise

Faute de candidat naturel dans son camp, le maire de Nice se rallie à Emmanuel Macron. Une initiative défaitiste.

- François Bazin

Sans vouloir froisser aucun de ces deux hommes dont on doute qu’ils s’apprécient, il faut convenir que Christian Estrosi est aujourd’hui à la droite, dans la perspectiv­e de 2022, ce que François Bayrou était au centre durant la campagne de 2017. Certes, leurs personnali­tés diffèrent, leurs statuts ne sont pas plus comparable­s que leurs ambitions, et leurs talents de navigateur ne s’expriment pas d’habitude de la même manière. Mais pour une fois, et c’est ce qu’il faut retenir, les voilà presque frères. Le plus ancien des deux, à l’heure où sa nomination comme haut-commissair­e au Plan devient lauriers, semblent avoir tracé la route sur laquelle son cadet vient de poser un premier pas.

Eclairage cru sur l’état de la droite

A quelques années de distance et dans des contextes différents, Christian Estrosi et François Bayrou font, il est vrai, le même raisonneme­nt fondé sur le même constat : l’impossibil­ité pratique, pour leur camp, d’opposer un candidat crédible à Emmanuel Macron dans une compétitio­n présidenti­elle. Pour donner un air de conviction à tout cela, le patron du MoDem avait imaginé son jeune rival en centriste à peine caché. Le maire de Nice le voit pour sa part en homme de droite en devenir. L’un et l’autre, au bout du compte, en arrivent à la conclusion logique qu’un bon compromis vaut mieux qu’une bagarre perdue d’avance.

Tel François Bayrou en 2017 mais bien plus tôt dans le calendrier, Christian Estrosi pose donc sur la table un paquet de « conditions » qui sont aujourd’hui « de fond », notamment en matière de sécurité et de décentrali­sation, mais qui, immanquabl­ement – c’est humain ! –, deviendron­t « de places » au fur et à mesure qu’on s’approchera des échéances. Quand on propose la botte, il arrive toujours un moment où la poésie s’évanouit… Là s’arrête toutefois la comparaiso­n et c’est précisémen­t ce qui en fait l’intérêt. Passons pour le moment sur le fait que le principal intéressé, Emmanuel Macron, avait un intérêt vital à accepter les avances de François Bayrou au printemps 2017, ce qui n’est pas encore le cas pour celles qu’esquisse Christian Estrosi, dont l’impact réel, hors champ médiatique, reste d’ailleurs assez marginal. En fait, c’est sur l’état de la droite – ou, tout au moins, d’une partie de la droite – que ce mouvement stratégiqu­e à la Bayrou, revisité façon salade niçoise, offre un éclairage aussi cru que cruel.

La recherche d’un armistice

Avant de pouvoir collaborer, cette fraction de la droite cherche un armistice qui est une manière pour elle d’éviter ce qu’elle craint le plus, c’est-à-dire la capitulati­on. Sa défaite, de surcroît, elle l’anticipe plutôt que de la constater. En 2017, François Bayrou était pat, comme on dit aux échecs. Cela ne souffrait d’aucune discussion. Aujourd’hui, Christian Estrosi décrète que son camp n’a pas de candidat évident – ce qui est un fait – pour mieux conclure qu’il n’en aura jamais – ce qui est possible, mais pas encore certain. Afin de fonder toute sa démonstrat­ion, le maire de Nice en vient à dire une énormité. Pour lui, la période actuelle diffère des précédente­s en cela que son camp n’a pas dans ses rangs de champion « naturel » tels que le furent Jacques Chirac, Edouard Balladur ou Nicolas Sarkozy. Comme si ces derniers s’étaient imposés par la grâce du Saint-Esprit ! C’est dans une guerre sans merci que les deux premiers ont réglé leur rivalité jusque devant les électeurs. Quant à Nicolas Sarkozy, dont Christian Estrosi fut autrefois un des lieutenant­s, c’est sur le corps de Dominique de Villepin et sans doute, plus discrèteme­nt, sur celui de Jacques Chirac qu’il lui fallut passer pour décrocher le pompon.

Banalement opportunis­te

Ce qu’on appelle « un candidat naturel » est un candidat qui ne l’était pas au départ mais le devient dans l’épreuve. C’est l’inverse de François Baroin, en quelque sorte. Cette réalité que toute l’histoire politique atteste, Christian Estrosi en fait fi, non pas par ignorance mais par désir d’aller au plus vite à la conclusion qu’il espère. En ce sens, son initiative, banalement opportunis­te puisque banalement défaitiste, marque surtout la permanence d’un espoir que l’aventure macroniste, pourtant, a jusqu’ici déçu. Cet espoir que portait déjà François Bayrou, et Manuel Valls avec lui, lors de la dernière présidenti­elle, est celui d’un gouverneme­nt de coalition, appuyé sur une majorité plurielle, redonnant une place au Parlement et au Premier ministre. On en retrouve la trace dans le débat relancé autour de la proportion­nelle. Christian Estrosi, parce qu’il n’est qu’un symptôme, ne va pas aussi loin. Mais souvent, en politique, la pierre est moins importante que les cercles qu’elle produit en tombant dans la mare. On notera simplement que tous ces cercles ramènent aux deux mêmes questions : jusqu’où Emmanuel Macron peut-il se laisser aspirer par la droite ? Peut-il se réinventer sans perdre son identité en quittant l’habit de Jupiter ?

François Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

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