Mutilation de chevaux : les éleveurs à cran
Plus d’une trentaine d’équidés ont été victimes de sévices en France depuis le début de l’année. Les gendarmes tentent de résoudre le mystère et d’éviter que les éleveurs ne prennent les armes.
a nuit du 3 août dernier, les hennissements de ses chevaux réveillent Julien*, éleveur en Corrèze. Il se lève et découvre dans l’enclos sa jument, fuyante et effrayée, entravée par des fils. Tandis qu’il essaie de la libérer, un coup de fusil retentit dans l’obscurité, sans qu’il ne parvienne à discerner le tireur. Pour lui, c’est sûr : « Quelqu’un a voulu s’en prendre à elle. » Qui ? Peut-être l’un de ces insaisissables bourreaux de chevaux qui frappent depuis le début de l’année un peu partout en France. Après cet incident, Julien et sa compagne ont perdu le sommeil. Chaque nuit, toutes les demi-heures, ils quittent leur chambre pour surveiller leurs animaux. Sur Facebook, ils épluchent le recensement des mutilations et des tentatives d’intrusions dans les haras que la communauté équestre tient minutieusement à jour. Le moindre détail devient suspect : la dégradation d’une clôture, le passage d’une voiture inconnue autour des prés… La psychose s’est emparée des écuries françaises.
Les politiques l’ont compris : le conseiller régional RN de Bourgogne FrancheComté, Julien Odoul, a publié une vidéo de soutien à la filière. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, s’est rendu en Saône-et-Loire puis dans l’Oise avec le ministre de l’Intérieur pour rassurer des propriétaires endeuillés. 38 députés de la majorité leur ont écrit pour alerter sur le risque de « réactions impulsives », « voire d’accidents mortels » de la part d’exploitants.
Les enjeux sont de taille : au-delà de la peur et de la souffrance infligées par cette série sanglante, les pertes sont également financières. Deux équidés, en Vendée et dans l’Aisne, valaient chacun plus de 100 000 euros. Beaucoup d’éleveurs ne se contentent pas de veiller : ils passent leur nuit sous des tentes plantées dans les prés ou bien organisent des patrouilles. Dans le Finistère, le 29 août, deux femmes armées d’un coupe-coupe et d’un pistolet à plomb ont arrêté et contrôlé une voiture qui leur paraissait louche. « Certains pourraient pratiquer l’autodéfense, s’alarme Eric Neveu, procureur de la République de Cusset (Allier), où l’on compte une attaque. Ma crainte, c’est qu’un cueilleur de champignons se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment. »
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En Saône-et-Loire, le patron des gendarmes, Guillaume Dard, partage son angoisse. « On martèle le message encore et encore auprès de la population : surtout pas d’arme, si vous voyez quelque chose d’anormal, faites le 17. » Un discours d’autant plus nécessaire que, dans ce département, des éleveurs d’ovins ont le droit d’être armés et de procéder à des tirs de défense face aux offensives de loups. En août, la description d’un 4 4 blanc suspect a circulé sur les réseaux sociaux. Il ne s’agissait, en fait, que d’un pêcheur empruntant un raccourci pour rejoindre un plan d’eau. Les militaires bourguignons ont dû communiquer afin d’éviter une traque. « On bénéficie d’un système, VigiAgri, créé en 2012 pour dégonfler les rumeurs, poursuit le colonel. Lorsque j’envoie un SMS, il atteint automatiquement 1 600 éleveurs. » Le gradé s’appuie également sur les vétérinaires, les louvetiers et les chasseurs pour relayer sa parole.
Le risque d’une escalade vient aussi, et surtout, des tueurs de chevaux euxmêmes. « Nous n’avons aucun mobile, admet un enquêteur. Nous cherchons des gens qui n’ont plus leur raison. » Depuis le début de l’année, une trentaine de sévices ont été consignés, certains cas paraissant plus équivoques. Dans la Loire, une attaque sauvage a finalement été attribuée à un animal. La gendarmerie, qui centralise les dossiers, date le début du phénomène au mois de février, mais des épisodes remontent à 2018, voire à 2014. « Les investigations sont difficiles car il n’y a pas de témoin. C’est si inédit qu’au départ, on n’analysait même pas les cadavres », explique le procureur d’Amiens, Alexandre de Bosschère, confronté à cinq énigmes.
Au printemps, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclasep) a dû produire une note pour guider les limiers dans leurs premières constatations sur les scènes de boucherie. A ce jour, seul le directeur d’un refuge de l’Yonne a surpris deux hommes « incroyablement déterminés », selon lui, en train de s’en prendre à ses poneys. L’un des deux l’a d’ailleurs blessé avec une serpette, il s’est défendu d’un coup de béquille. La description de son agresseur – « entre 40 et 50 ans, brun, assez costaud, parlant une langue étrangère, peut-être des pays de l’Est » – a permis d’établir un portrait-robot.
Les coupables sont forcément multiples et certains semblent familiers de leurs cibles. C’est la conviction d’un éleveur à Cluny (Saône-et-Loire), JeanMichel Martinot, dont la pouliche a péri le 7 août dernier : « Ils l’ont poignardée en plein coeur et ont amputé ses organes de manière chirurgicale, confie-t-il à L’Express. Ils savaient comment approcher l’animal et connaissaient son anatomie. Même le véto m’a dit : “Je n’aurais pas fait mieux”. »
Défi lancé sur le dark Web ? Groupe sataniste ? Imitateurs cherchant la lumière médiatique ? Aucune piste n’est fermée, pas même la vengeance ou la fraude à l’assurance dans de rares cas. Les autorités mettent les moyens pour trouver une logique à l’irrationnel : explorations numériques, éclairage des « profileurs », aide de la Garde républicaine rompue au monde équin, et enfin saisine de la Miviludes, la mission interministérielle chargée d’étudier les dérives sectaires.
Au service de cet organisme, l’historien Jacky Cordonnier a commencé le travail et s’interroge sur une possible pratique de sorcellerie. « Des affaires similaires en Belgique m’avaient déjà amené à creuser cette piste. Lorsqu’on regarde la carte des faits, c’est frappant : la plupart se situent sur une bande longeant le littoral atlantique et sur une autre le long de la frontière est. Nous sommes dans des régions où les vieux rituels de sorcellerie sont encore prégnants. Le prélèvement de sang, l’ablation chirurgicale des oreilles ou des organes sexuels m’évoquent des envoûtements. »
Les dates l’interpellent également : « La fréquence des actes coïncide avec la pandémie du Covid-19. Des esprits tordus peuvent se persuader qu’ils se protégeront en se livrant à ce genre de rites. » Dans les Côtes-d’Armor, la propriétaire d’un cheval mutilé en décembre 2019 avait trouvé une sorte de poupée vaudoue à proximité de la dépouille. « En Belgique, dans les années 2010, il y a eu des dizaines de cas, près de 200 en Grande-Bretagne et environ 300 en Allemagne dans les années 1980-1990, s’inquiète l’historien. En France, je crains que nous ne soyons qu’au début d’une vague… »
Le psychiatre Daniel Zagury, qui a expertisé de nombreux serial killers français, n’est pas plus optimiste : « On a très probablement affaire à un tueur en série d’animaux, organisé et cruel. Avec ces mutilations, il y a quelque chose de l’ordre de la mise en scène, du défi adressé aux enquêteurs. Or la cruauté à l’égard des mammifères, que l’on retrouve dans l’enfance ou l’adolescence des tueurs en série, est toujours un signe inquiétant. C’est potentiellement le stade préparatoire à une étape supérieure. » Les haras ne sont pas près de dormir.
* Le prénom a été modifié.
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La GPA reste en effet rigoureusement interdite en France. En attendant l’adoption définitive de la loi sur la PMA pour toutes, notre pays cantonne de surcroît l’emploi du don de sperme et d’ovules aux couples hétérosexuels infertiles, excluant lesbiennes et femmes seules.
Jusqu’à dimanche après-midi, entre deux conférences sur la fertilité féminine après 40 ans, l’homoparentalité au Canada ou la GPA au temps du Covid, 400 visiteurs ont peiné à remplir les allées. La plupart sont des couples hétérosexuels ou des femmes seules, à l’image de Leïla, 36 ans. Cette célibataire envisage de devenir « parent solo » en faisant appel au don de sperme non anonyme au Portugal afin que son futur enfant « puisse avoir accès au géniteur à ses 18 ans ». Même règle pour les donneuses d’ovocytes, pour lesquelles la loi portugaise lèvera l’anonymat à partir du 1er août 2022. C’est ce qui a séduit Marie et Bertram, jeunes quadras en couple depuis trois ans. Après des examens sanguins « catastrophiques » qui ont révélé son infertilité, Marie aimerait recevoir les ovocytes d’une donneuse lusitanienne. Comble de malchance, Marie souffre « d’adénomyose à l’utérus », ce qui la fait s’interroger : « Est-ce que mon corps est capable de recevoir ? » Dans la pire des hypothèses, la GPA et l’adoption seraient possibles. Mais les deux conjoints tiennent à maintenir un lien biologique avec leur future progéniture : « qu’au moins un de nous deux transmette son patrimoine génétique ».
Pas de quoi déstabiliser les responsables de la clinique ukrainienne Feskov.
Leur brochure, « Bonheur parental pour ceux qui ont perdu l’espoir », cible explicitement les plus désespérés. Comptez entre 17 000 et 125 000 euros selon que vous fournirez ou non la mère porteuse et les ovules. Les formules les plus coûteuses, réservées aux « célibataires » de toutes orientations sexuelles, prévoient l’accouchement de la mère porteuse dans une destination reconnaissant les enfants nés par GPA (Belgique, République tchèque, Espagne, Etats-Unis). Quant aux couples hétérosexuels, ils attendent la naissance en Ukraine. Si l’acte de naissance ukrainien ne mentionne jamais la mère porteuse, il faut néanmoins passer par l’ambassade de France puis patienter six mois pour adopter le bébé. Au dire de l’équipe Feskov, les mères porteuses, dont la rémunération reste secrète, gardent rarement contact avec les familles adoptantes afin d’éviter tout « risque de rivalité et de confusion ». Chaque année, entre 200 et 300 enfants français naissent ainsi à l’issue d’une GPA à l’étranger. Un marché de niche comparé aux 2 400 femmes françaises se faisant inséminer par PMA en Belgique et en Espagne.
Dans l’Hexagone, l’ouverture prochaine de la PMA à toutes les femmes annonce une probable pénurie de donneuses d’ovocytes. « On a déjà cinq ans d’attente. Il n’y a qu’entre 300 et 400 donneuses. Et si vous êtes noire ou asiatique, oubliez… Pendant quinze jours, une donneuse doit se faire piquer, subir une stimulation et une ponction ovariennes, sous anesthésie générale, parfois contre un ticket de métro ! » s’indigne Philippe Roussel, vice-président de l’association Les Cigognes de l’espoir. Malgré un chemin semé de frustration et de déconvenues, certains sont prêts à tous les sacrifices pour devenir parents. Sans jamais désespérer.
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