La transition énergétique manquera-t-elle de bras ?
Près de 7 milliards d’euros sont sur la table pour la rénovation thermique des bâtiments. Un enjeu pour la filière, qui a besoin de former les artisans.
a couleur du dossier de presse détaillant les mesures destinées à remettre l’économie française sur les rails est sans équivoque : la relance de la France sera verte. Pour ce faire, la somme annoncée est loin d’être négligeable. 30 milliards d’euros, soit près d’un tiers des 100 milliards mis sur la table par le gouvernement dans le plan « France relance », seront destinés au financement de la transition énergétique, dont 6,7 milliards à la rénovation thermique des bâtiments, le chauffage étant l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre.
Plus précisément, 4 milliards d’euros iront à la rénovation des bâtiments publics (écoles, universités, bâtiment de l’Etat…) et 2 milliards aux logements privés via MaPrimeRénov’, aide qui sera étendue à tous les Français à partir du 1er janvier 2021. Les chantiers devraient donc se multiplier. Une bonne nouvelle pour la plupart des professionnels, qui espèrent voir la pile de leurs devis remonter, après une mise à l’arrêt brutale pour cause de coronavirus.
Ce sera un appel d’air en matière d’emploi, espère le gouvernement. Alors que 800 000 postes devraient être détruits par la crise sanitaire, les mesures vertes en créeront ou préserveront 190 000 à elles seules ces deux prochaines années, dont une bonne partie dans la rénovation des bâtiments, estime le ministère de la Transition écologique. Des perspectives que confirme une étude de l’Ademe à
Lparaître ces jours-ci. Le marché de la rénovation énergétique des bâtiments résidentiels, qui représentait, en 2006, 15 milliards d’euros et 125 000 emplois (en équivalent temps plein), pesait déjà, en 2018, 27 milliards et 198 000 emplois.
Mais a-t-on la main-d’oeuvre nécessaire, alors qu’il y a quelques mois le secteur était sous tension ? « Oui, répond sans ambages Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB). Nous sommes en sureffectifs. On a gardé nos ouvriers, alors que les chantiers tournent au ralenti… On est encore sur un chiffre d’affaires en chute libre de 18 % cette année. Si on ne fait rien, de 30 000 à 40 000 entreprises se retrouveront sur le carreau, et 120 000 salariés, en danger. » Avec le plan de relance, le secteur devrait recruter massivement dès 2021. Le patron de la FFB table sur l’embauche de 100 000 à 120 000 salariés de plus, dont 50 000 grâce aux mesures liées à la transition énergétique. « Le bâtiment est capable de former des gens en réinsertion, des ex-salariés de secteurs sinistrés », affirme-t-il. La branche estime aussi pouvoir faire grimper le nombre d’apprentis et alternants à 100 000 en 2023, soit 40 000 de plus qu’aujourd’hui. Reste à attirer des jeunes.
Malgré la volonté du gouvernement de doper l’apprentissage, la filière souffre toujours d’une image négative, et les centres de formation d’apprentis (CFA) sont encore loin de faire le plein. « Aujourd’hui, le métier du bâtiment n’est pas du tout attractif, alors qu’il va sauver le monde, regrette Vincent Legrand, directeur de l’institut négaWatt, un organisme de conseil et de formation sur la transition énergétique. Quand on pense artisan, on pense au maçon, alors qu’on parle là de profils techniques nécessitant un oeil aiguisé, un vrai savoir-faire. » Une image à changer, donc, mais le défi ne s’arrête pas là. Pour les spécialistes, un certain nombre de travaux doivent être engagés au sein même de la filière, et en premier lieu un vaste effort de formation.
Le gouvernement l’a affirmé : en matière de rénovation aussi, l’objectif est
de faire tout en même temps. Or « les rénovations globales ne représentent aujourd’hui que 1 % des chantiers », souligne Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). Il s’agit donc d’un changement de regard et d’échelle pour beaucoup d’artisans. « Il faut structurer la filière pour permettre des rénovations performantes, à grande échelle, avec une qualité de travaux garantie, ce qui n’est pas complètement le cas aujourd’hui, continue le patron de ce think tank. Cela passera aussi par un plan de formation des artisans. » Mais d’abord celle des enseignants, sous peine de rater le virage vert. « Ce sera catastrophique si on forme les gens à faire la même chose qu’avant », prévient Vincent Legrand. « Maquette numérique, nouvelles technologies, nouveaux matériaux… C’est comme en informatique, les connaissances doivent être mises à jour, reconnaît Thomas Gaudin, économiste chargé de la thématique de l’emploi à l’Ademe. Des outils de formation existent, mais il faut veiller à les rendre attractifs pour les publics qui ne gardent pas un bon souvenir de l’école… »
Il faut donc trouver des solutions et des initiatives sont lancées. Dans les Hauts-deFrance, les maisons de l’emploi de Lens, Saint-Quentin, Cambrai et Lille ont ainsi mis en place la « baraque à FIT » (formation intégrée au travail), « une plateforme mobile inventée par un professionnel du bâtiment qui forme une dizaine de personnes sur le chantier », raconte Thomas Gaudin. Vincent Legrand dirige également Dorémi, un organisme qui accompagne les particuliers, mais aussi les artisans. Isolation des sols, des murs, ventilation…, l’entreprise initie ces derniers à la rénovation énergétique globale des maisons en créant des groupements de professionnels sur les chantiers. « La technique liée à la performance est vite comprise ; l’enjeu, c’est la coordination, explique le chef d’entreprise. L’idée, c’est que le chauffagiste parle avec le poseur de fenêtres pour choisir la chaudière adaptée. Il ne s’agit pas de poser mieux, mais d’apprendre à travailler ensemble. » C’est là que tout devient possible.
WDette publique française en % du PIB