Dette : le subterfuge du cantonnement
Le gouvernement entend placer 150 milliards de « dette Covid » dans une structure ad hoc. Mais quel impôt en face pour rembourser l’ardoise?
Joli coup de com ou opération vérité ? Difficile à dire tant le micmac comptable que mitonne le gouvernement donne le tournis. Avec les milliards mis sur la table par l’exécutif pour le chômage partiel, les plans sectoriels, les soutiens à l’investissement ou encore les aides à l’embauche des jeunes, la dette publique explose. Elle devrait atteindre 121 % du PIB cette année, du jamais-vu en temps de paix. L’idée de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, est d’isoler une partie de cette dette, celle directement liée à la pandémie, dans une structure ad hoc chargée de la gérer et de la rembourser à terme.
Une opération qui vous rappelle vaguement quelque chose ? Gagné. Autre temps, autre pilote dans l’avion : en 1996, Alain Juppé avait expérimenté la méthode en créant la Cades, la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Il s’agissait alors de solder les déficits de la Sécu, et de repartir d’un bon pied en logeant quelque 23 milliards d’euros dans ce pot. Dans la foulée, une taxe, la CRDS – contribution pour le remboursement de la dette sociale – était créée, dont la recette allait au remboursement de cette dette. A l’époque, Juppé le promet : en 2009, tout sera épuré. La suite n’est qu’une longue série de promesses enterrées. 13,3 milliards sont de nouveau transférés dans la caisse – par Lionel Jospin – en 1998, 50 milliards en 2004, 157 milliards de 2009 à 2011… Chaque fois, l’horizon du remboursement s’éloigne. En juin, le gouvernement y a de nouveau versé 136 milliards de « dette sociale » – les 31 milliards de déficits cumulés de la Sécu enregistrés au 31 décembre 2019, auxquels s’ajoutent 13 milliards de dette des hôpitaux et, surtout, 92 milliards de déficit correspondant au gouffre de la Sécu anticipé pour les quatre prochaines années –, repoussant par la même occasion son extinction de 2023 à 2034.
Aujourd’hui, Bruno Le Maire parle de cantonner à nouveau 150 milliards. Dans la « petite caisse » de Juppé ou une structure spéciale. « L’avantage de la première, c’est qu’elle existe déjà, même si une loi organique est nécessaire pour en modifier l’usage », observe Laurent Saint-Martin, rapporteur du budget à l’Assemblée nationale. Mais, au vu du paquet de milliards que prévoit d’y injecter Bercy, il faudra la maintenir en vie au moins jusqu’en 2042, estime une source proche de Bercy… Conséquence, la CRDS, qui avant la pandémie devait s’éteindre en 2023, a encore deux belles décennies devant elle. Rien ne dit que cela suffira à éponger la « coronadette ». Et il faudra sans doute puiser dans une partie des recettes de la TVA ou de l’impôt sur le revenu. Pas vraiment une augmentation d’impôts, comme accuse une partie de l’opposition. Plutôt une « non-baisse ».
Voilà pour la tambouille budgétaire. L’intérêt de la manoeuvre reste discutable. « C’est un pur outil de communication, qui permettra de présenter des chiffres hors-Covid et d’embellir la situation », attaque Eric Woerth, député LR de l’Oise. « Plutôt une opération de transparence qui permet de donner des gages à nos partenaires européens et aux marchés financiers sur notre volonté de continuer à diminuer les déficits publics structurels », répond Cendra Motin, la députée LREM membre de la commission des finances. Cades rénovée ou structure spéciale, le gouvernement se laisse en tout cas la possibilité d’y brancher un jour un nouveau tuyau fiscal pour rembourser la dette plus vite. Pour l’heure, l’exécutif jure qu’il n’augmentera aucun impôt. Rendez-vous en 2022, après les élections…
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