Boris Johnson : la fin de l’état de grâce
Négociations sur le Brexit, crise sanitaire... les dossiers épineux s’accumulent pour le Premier ministre, désormais au coude-à-coude avec son rival travailliste dans les sondages.
es images de ses trois jours de camping dans les Highlands, en Ecosse, ont fait le bonheur des tabloïds. Boris Johnson y apparaît échevelé et débraillé, paré d’un portebébé d’où dépasse la mèche blonde de son sixième enfant. A son côté, sa fiancée, Carrie, porte leur terrier Jack Russell. Si ces clichés ont pu faire sourire, le charme du Premier ministre britannique, qui opérait encore avant l’été, est en train de sérieusement s’émousser. « BoJo » arborait ainsi la mine des mauvais jours pour sa première séance de questions de la rentrée au Parlement. Et pour cause : l’apprenti campeur s’est pris une douche froide en découvrant les derniers sondages : selon une enquête Opinium réalisée pour The Observer, Keir Starmer, le nouveau leader travailliste, doté de 40 % d’intentions de vote, arrive désormais à égalité avec lui. Redynamisé par le départ de son ancien – et très à gauche – leader Jeremy Corbyn, le Labour a opéré une remontée spectaculaire de… 26 points depuis mars dernier. La dégringolade des conservateurs est notamment due à la gestion pour le moins chaotique de la crise sanitaire par Boris Johnson, à ses nombreux revirements donnant une impression d’improvisation, tout comme, dans un autre registre, au fiasco du dispositif de notation aux derniers examens de « A-level » (l’équivalent du baccalauréat) – qui a privé des milliers de bacheliers de leur place à l’université.
Il sera d’autant plus difficile pour le chef de l’exécutif de reconquérir les coeurs que les dossiers brûlants se sont accumulés sur son bureau. A commencer par les négociations sur l’après-Brexit, qui ont repris le 8 septembre et sont dans l’impasse. Le gouvernement, alternant silence, bravade et menace d’un no deal, refuse depuis six mois de se prononcer sur deux points qui fâchent : la pêche et les subventions accordées par Londres à ses entreprises nationales. Michel Barnier, négociateur en chef de l’Union européenne, qui se dit « particulièrement déçu et inquiet du manque d’implication du gouvernement britannique », ne cache plus son irritation.
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La perspective d’un no deal le 31 décembre prochain serait toutefois désastreuse pour l’économie britannique, déjà très pénalisée par la crise du Covid-19. Sur le plan économique, « la mer va être de plus en plus agitée », a confié Boris Johnson à ses troupes, alors que le PIB s’est effondré de plus de 22 % au premier semestre. La GrandeBretagne ayant emprunté à tour de bras (la somme devrait excéder 300 milliards de livres en 2020), la dette publique a explosé, jusqu’à atteindre les 100 % du PIB – du jamais-vu depuis 1961.
Rishi Sunak, ministre de l’Economie, doit résoudre la quadrature du cercle : financer un plan de relance de plusieurs milliards tout en ménageant à la fois sa base traditionnelle – aisée et allergique à toute hausse d’impôt – et le nouvel électorat du nord de l’Angleterre, modeste et dépendant des aides publiques. A l’approche du vote du budget cet automne, « Johnson et Sunak jouent leur avenir », estime le quotidien de gauche The Guardian. Lors de réunions avec les députés conservateurs, Rishi Sunak a prévenu qu’il faudrait se préparer à fermer le robinet des dépenses : « Nous sommes le parti de la compétence économique. S’il suffisait de promettre toujours plus et d’emprunter, qu’est-ce qui nous distinguerait des Travaillistes ? » Alors que l’Allemagne va prolonger son système de chômage partiel d’un an, et la France de deux ans, le chancelier de l’Echiquier a été très clair : en Grande-Bretagne, les financements pour les entreprises et leurs employés touchés par l’épidémie s’arrêteront à la fin du mois d’octobre.
Sur le front sanitaire, enfin, la lune de miel est terminée entre Boris Johnson et le personnel du système de santé publique, le NHS (National Health Service), qui l’a pourtant sauvé du coronavirus. Les médecins ne se sentent guère épaulés, dans un contexte de forte hausse du nombre de contaminations (près de 3000 nouveaux cas le 6 septembre et un total officiel de plus de 41 600 morts, le plus élevé d’Europe). Le système gouvernemental de tests et de traçage focalise toutes les critiques. Fin août, seuls 450 000 tests étaient effectués par semaine, au lieu des 500 000 par jour promis. Pour ne rien arranger, la Première ministre d’Ecosse, Nicola Sturgeon, créditée, pour sa part, d’une bonne gestion de l’épidémie, voit sa popularité s’envoler ; et la population locale est désormais majoritairement favorable à l’indépendance de la nation. La douche écossaise de trop pour « BoJo ».
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indiquent que la fin de la conduite sans entrave est proche. En mai, le très influent Conseil de la sécurité routière, qui réunit divers représentants de la société civile, s’est déclaré favorable à une attitude plus responsable au volant – après avoir préconisé l’absence de réglementation pendant des décennies. Un rétrogradage similaire a été effectué par l’Adac, principale association d’automobilistes (20 millions d’adhérents). Plus globalement, l’opinion publique a amorcé un grand virage sur ce sujet.
A l’instar du débat sur les armes à feu aux Etats-Unis, la vitesse au volant est un sujet hautement sensible en Allemagne. Voilà pourquoi les responsables politiques sont si peu nombreux à s’y attaquer. S’en prendre à la bagnole, c’est risquer l’accident électoral. « Les citoyens évoluent plus vite que les élus, observe toutefois Andreas Knie, du Centre de recherche en sciences sociales de Berlin (WZB). Les sondages montrent que plus de 60 % des Allemands sont favorables aux restrictions de vitesse, en particulier les femmes et les jeunes. » Célébrée par la propagande nazie dans les années 1930, l’autoroute a également symbolisé le mode de vie allemand et la prospérité bâtie sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale. Au point que certains voient dans la voiture l’un des éléments constitutifs de « l’âme allemande », au même titre que la poésie de Goethe, la musique classique ou les paysages romantiques de Caspar David Friedrich…
« La voiture et l’autoroute incarnent une certaine idée de la liberté face à un Etat régulateur »
« Tous les Allemands ne sont pas des fous du volant, nuance le “psychanalyste de l’asphalte” Michael Kröchert, qui vient de publier Autobahn : Ein Jahr zwischen Mythos und Alptraum (« Autoroute. Une année entre mythe et cauchemar »). Je connais des gens qui n’empruntent jamais l’autoroute par peur des chauffards qui déboulent à 250 kilomètres-heure. Mais aujourd’hui encore, à l’heure où elles sont devenues infernales à cause des embouteillages, les autoroutes et la voiture représentent, dans la psyché allemande, la foi dans la technique et une certaine idée de la liberté face un Etat régulateur. » « Cette vision est entretenue par une industrie automobile dominée par des messieurs d’une autre époque, hostiles à toute tentative de réglementation complète le chercheur Andreas Knie. Dans les années 1990, ils avaient accusé l’essence sans plomb et le pot catalytique de nuire à l’image des véhicules. Pourtant, ces avancées n’avaient aucun impact commercial négatif. Déjà, dans les années 1970, lorsque la ceinture de sécurité est devenue obligatoire, le patron de Volkswagen, Kurt Lotz, affirmait qu’elle était un mauvais argument de vente ! »
L’Automobilclub von Deutschland (AvD), qui compte 1,4 million d’adhérents, est l’un des derniers clubs automobiles à défendre le principe de la conduite « libre ». « Chacun doit pouvoir rouler aussi vite qu’il le souhaite, estime son porte-parole, Malte Dringenberg. C’est une question de liberté. » Un avis partagé par l’Association de l’industrie automobile (VDA), le puissant lobby des constructeurs. Ces derniers craignent que la limitation de vitesse ne ternisse l’image de la deutsche Qualität, à laquelle contribuent les solides et puissantes voitures allemandes. Les syndicats ont la même préoccupation, au nom de la défense de l’emploi d’un secteur clef (plus de 800 000 salariés directs).
Réduire la vitesse peut-il réellement nuire au business ? Pas forcément, si l’on en juge par le succès commercial des bolides
Porsche en Californie (Etats-Unis), où les restrictions routières sont parmi les plus sévères du monde. « La limitation de vitesse en Italie n’a jamais empêché Ferrari de vendre ses voitures ! » insiste Ferdinand Dudenhöffer, professeur d’économie automobile à l’université de Duisbourg et Essen. Mais les opposants à la régulation ont un dernier argument : « Nos autoroutes sont les plus sûres du monde », répète à l’envi le ministre des Transports, Andreas Scheuer. Omettant de préciser que le nombre de morts sur les routes allemandes se situe juste dans la moyenne européenne, ce conservateur bavarois, membre du parti d’Angela Merkel (CDU), a lancé en début d’année une campagne contre ce « projet idéologique des écologistes ». « De plus en plus de citoyens en ont ras le bol de la surenchère des interdictions ! » a renchéri Markus Blume, secrétaire général de la CSU.
Toutefois, pour le chercheur Ferdinand Dudenhöffer, la fin du German way of life n’est plus qu’une question de temps. « Dès que l’actuel ministre des Transports aura quitté son poste, après les élections législatives de l’automne 2021, la loi sera votée, pronostique-t-il. Les conservateurs devront sans doute s’allier aux écologistes pour conserver le pouvoir, et ces derniers ont déjà annoncé qu’ils ne céderont pas sur ce point. » Pour éviter la sortie de route, les conservateurs vont devoir apprendre à lever le pied.
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