Les proserbes vont faire la loi
Au Monténégro, la victoire aux législatives d’une coalition proche de Belgrade ravive les craintes d’un embrasement régional.
Feux d’artifice, klaxons… Podgorica est en liesse, ce lundi 31 août. Par milliers, les Monténégrins sont descendus dans les rues de la capitale pour fêter la victoire de la coalition proserbe aux élections législatives. Une bien mauvaise nouvelle, en revanche, pour le président, Milo Djukanovic, à la tête de ce petit pays de 610000habitants depuis 1991. Elu jusqu’en 2023, le dirigeant proche du camp occidental va devoir cohabiter avec le camp proserbe, qui devrait maintenant chercher à resserrer les liens avec Belgrade – et avec son allié russe.
Cette nouvelle est perçue par les experts comme un séisme dont l’onde de choc pourrait se propager dans toute la région. Certains craignent même que cette victoire politique, passée inaperçue dans l’ouest de l’Europe, ne mette le feu à la poudrière balkanique.
Indépendant de la Serbie depuis 2006, le Monténégro se trouve en équilibre fragile. Proeuropéen, membre de l’Otan depuis 2017, ce pays majoritairement orthodoxe n’en est pas moins resté très attaché à Belgrade. D’ailleurs 1 Monténégrin sur 3 répond spontanément qu’il est serbe lorsqu’on lui demande sa nationalité… Comment le camp proserbe est-il parvenu à l’emporter ? En grande partie grâce à son Eglise orthodoxe, qui a pesé de tout son poids dans la bataille. Celle-ci avait, du reste, beaucoup à perdre. Le patriarcat de Serbie possède de nombreux biens (monastères, forêts, champs) au Monténégro, qu’il considère encore comme l’un de ses diocèses. Or l’Etat monténégrin a fait passer l’an dernier une loi qui vise à nationaliser toutes ces richesses. Pour sauver ce patrimoine, l’Eglise serbe n’a donc pas hésité à s’immiscer sur la scène politique monténégrine, en organisant notamment des manifestations sur tout le territoire.
Et maintenant ? Certains redoutent que les nouveaux maîtres du pays n’organisent un référendum sur un rattachement du Monténégro à la Serbie. Ils pourraient aussi ne plus reconnaître l’indépendance du
Kosovo – et déstabiliser ainsi cette ancienne province serbe, toujours revendiquée par Belgrade. De quoi raviver le fantasme de la Grande Serbie, cette vieille obsession qui effraie tant les autres Etats de l’ex-Yougoslavie, Bosnie en tête. « Que le drapeau serbe s’agite de Prizren [Kosovo] à Rumija [Monténégro] ! » chantaient d’ailleurs les manifestants monténégrins le 31 août…
A 2 000 kilomètres de là, un homme se frotte les mains : Vladimir Poutine. Par tous les moyens, le président russe s’emploie à bloquer la progression de l’Otan dans les Balkans. A cet égard, ses amis serbes viennent de lui faire un joli cadeau. « L’arrivée de politiciens prorusses aux manettes du Monténégro constitue le plus grand triomphe de Vladimir Poutine depuis l’occupation de la Crimée », estime Emir Suljagic, professeur de relations internationales à Sarajevo. A Berlin, Bodo Weber, chercheur au Democratization Policy Council, un cercle de réflexion transatlantique, est tout aussi inquiet : « L’Union européenne et les Etats-Unis vont devoir surveiller de très près la situation, estime-t-il. Quitte à faire pression sur le pouvoir monténégrin. » Et éviter l’effet domino que tout le monde redoute.
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