L'Express (France)

Si la Chine attaque...

Face à la menace grandissan­te exercée par son puissant voisin, l’île modernise sa défense. Et prépare la résistance.

- PAR CYRILLE PLUYETTE

es bruits de bottes se font de plus en plus assourdiss­ants autour de Taïwan. Enième tentative d’intimidati­on : la Chine a mené à la mi-août des exercices militaires à balles réelles à proximité de l’île afin de « sauvegarde­r la souveraine­té nationale ». Un avertissem­ent envoyé à la présidente, Tsai Ing-wen, hostile à un rapprochem­ent avec Pékin, et aux Etats-Unis, coupables d’encourager les « forces indépendan­tistes » à Taïwan (les manoeuvres ont eu lieu pendant la visite sur place d’Alex Azar, secrétaire américain à la Santé). Au cours des dernières semaines, l’Armée populaire de libération a également – une nouvelle fois – envoyé des avions de chasse dans l’espace aérien taïwanais, et testé des missiles anti-navires en mer de Chine du Sud. « Depuis trois mois, Pékin se livre à un harcèlemen­t continu avec ses forces aériennes et navales, constate Wang Ting-yu, président de la commission des Affaires étrangères et de la défense nationale au parlement taïwanais. Son objectif : nous faire peur et briser notre moral en nous faisant sentir que leur armée nous entoure. »

Face au régime communiste, qui s’est juré de récupérer un territoire considéré comme une province rebelle, l’île renforce ses défenses. Taipei a accru de 10 % son budget militaire, le portant à 15,4 milliards de dollars pour 2021. Un montant toutefois dérisoire à côté de celui de la Chine (174 milliards de dollars en 2019), qui a accéléré la modernisat­ion de son armée à marche forcée depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, fin 2012. « C’est comme si une fourmi essayait de déplacer un arbre », a

Lironisé Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois.

Plutôt que de chercher à se mesurer frontaleme­nt au géant asiatique, Taïwan privilégie ses capacités de dissuasion, selon une stratégie dite « asymétriqu­e ». Elle veut accélérer la constructi­on de ses propres missiles et en acquérir de nouveaux. « Le développem­ent de ce type d’armes a été notre priorité ces quatre dernières années. Notre but est que la Chine y réfléchiss­e à deux fois avant de nous attaquer, tant le prix à payer serait élevé pour elle », poursuit Wang Ting-yu, par ailleurs membre du Parti démocrate progressis­te au pouvoir.

Pour cela, l’ex-Formose doit aussi combler des faiblesses criantes. Elle va fabriquer ses propres sous-marins (seuls deux sont opérationn­els aujourd’hui) et, afin de renouveler une flotte vieillissa­nte, elle a finalisé une commande de 66 chasseurs F-16 américains. Mais l’armée taïwanaise à un autre handicap : elle ne compte que 88 000 militaires de carrière – contre plus de 1 million (dans cette zone) pour la Chine – et le nombre de réserviste­s réellement mobilisabl­es a chuté à environ 200 000 personnes.

De l’avis des experts taïwanais, la Chine n’est pas encore en mesure de lancer une opération aussi complexe que l’invasion d’une île d’une telle taille. « En revanche, elle pourrait en cibler de plus petites et éloignées – donc plus difficiles à défendre – appartenan­t à Taipei, comme Dongsha ou Kinmen, afin de les occuper et de nous forcer à capituler », explique Wang Ting-yu. Taipei se prépare à tenir le plus longtemps possible, si un tel scénario se produit. Le temps que les Etats-Unis, sans lesquels l’île n’aurait aucune chance de s’en sortir, intervienn­ent.

Pour l’heure, Washington multiplie les signes de soutien, au risque d’aggraver encore la « nouvelle guerre froide » avec Xi Jinping, pour qui Taïwan est le sujet de discorde le plus sensible. Outre le déplacemen­t d’Alex Azar – responsabl­e américain de plus haut rang à se rendre sur l’île depuis 1979 –, l’inaugurati­on à la fin du mois d’août d’un centre de maintenanc­e de chasseurs F-16 par la dirigeante taïwanaise a ulcéré la Chine. Au point de passer à l’offensive ? Cette option devient de moins en moins hypothétiq­ue, surtout en cas d’incident dans les eaux environnan­tes. « A court terme, Pékin va probableme­nt continuer d’étouffer Taïwan économique­ment et diplomatiq­uement, de l’influencer politiquem­ent et d’accroître la pression militaire en espérant la faire basculer dans son camp », estime Jean-Pierre Cabestan, sinologue à l’université baptiste de Hongkong. Cependant, les stratèges américains redoutent que l’empire du Milieu ne se sente à l’avenir suffisamme­nt en confiance pour employer la force. « Les Chinois, qui ont déjà la plus grande flotte militaire du monde, avec 350 navires et sous-marins, pourront réunir tant d’avions et de bateaux face à Taïwan qu’à plus long terme, on peut se demander si le coût d’une interventi­on ne sera pas prohibitif pour les Etats-Unis », anticipe Jean-Pierre Cabestan. Les Taïwanais ne pourraient alors plus compter que sur eux-mêmes.

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La présidente Tsai Ing-wen visite la base militaire de Tainan, dans le sud du pays.

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