L'Express (France)

Migration, les nouvelles routes

L’Italie redevient l’une des principale­s portes d’entrée des migrants. Parmi ceux-ci, les Tunisiens figurent au premier rang.

- PAR CLÉMENT DANIEZ

a photo de son cadavre étendu sur une plage turque avait suscité un émoi mondial. Le 2 septembre 2015, un petit Syrien de 3 ans, Aylan Kurdi, se noyait,comme son frère de 5 ans et sa mère, en mer Egée. Cinq ans après, d’autres enfants continuent de trouver la mort en tentant de rejoindre l’Union européenne. « Parmi les trois corps qu’un ami a récupérés à dix minutes de bateau d’une plage de Djerba [en Tunisie], fin août, il y avait celui d’un petit encore en couche sous son survêtemen­t », raconte à L’Express Chamseddin­e Marzoug, un pêcheur de la ville de Zarzis qui s’est donné pour mission d’enterrer dans la dignité des migrants anonymes ayant péri en mer.

Le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a recensé plus de 443 morts et disparus en Méditerran­ée entre le 1er janvier et le 31 août 2020 ; ils étaient 931, sur la même période, un an plus tôt. De fait, de moins en moins d’exilés tentent cette traversée périlleuse. Alors que leur nombre a dépassé 1 million en 2015, au paroxysme de la crise migratoire, on en comptait presque 10 fois moins en 2019. Une tendance qui se confirme en 2020 : au 1er septembre, seules 48 000 personnes avaient essayé d’accéder à l’Europe.

L’ouverture des frontières allemandes aux réfugiés syriens, décidée par Angela Merkel en 2015, n’aura été qu’une parenthèse. Dès l’année suivante, Berlin et l’UE ont fermé la route des Balkans, puis scellé un pacte avec Recep Tayyip Erdogan : le renvoi systématiq­ue vers la Turquie des

Lmigrants qui arrivent en Grèce contre le versement de 6 milliards d’euros pour l’accueil des réfugiés. Résultat, les flux se sont déplacés. En 2016 et 2017, l’Italie est devenue la principale porte d’entrée en Europe des migrants, avant qu’un accord entre Rome et les milices libyennes n’interrompe ces traversées. Lorsque, en 2018, le leader d’extrême droite italien Matteo Salvini, alors ministre de l’Intérieur, interdisai­t aux navires de sauvetage d’entrer dans ses ports, l’Espagne est alors devenue le premier point d’accès majeur .

Si, depuis le 1er janvier, les tentatives de franchisse­ment des frontières européenne­s ont diminué de moitié en Méditerran­ée orientale (Grèce, Chypre) et occidental­e (Espagne), elles ont en revanche plus que doublé en zone centrale (Italie, Malte) par rapport à 2019. « L’épidémie de Covid-19 a fait plonger l’économie du sud de la Tunisie, en provoquant la fermeture de la frontière avec la Libye, dans une zone où beaucoup de gens vivent de trafics, constate Vincent Cochetel, envoyé spécial du HCR en Méditerran­ée centrale. Cela a accéléré le départ de Tunisiens, qui représente­nt 21,7% des arrivées totales en Méditerran­ée. »

La destinatio­n préférée des migrants ? L’Allemagne, encore et toujours, représente près d’un quart des demandes d’asile. En 2019, 116 225 d’entre elles, soit 39 %, ont été satisfaite­s, indique Eurostat, devant la France (42 120, soit 14 % de décisions positives) et l’Espagne. L’origine géographiq­ue joue un rôle décisif : alors que 86 % des Syriens décrochent, cette année-là, un visa, la proportion tombe à 54 % pour les Afghans, 42 % pour les Irakiens et… 15 % pour les Maliens. Elle varie également d’un Etat membre de l’UE à l’autre, faute d’une politique commune. Et ce n’est pas près de changer. Le projet de « pacte pour la migration », annoncé par la nouvelle Commission européenne, qui prévoit la remise à plat du « règlement de Dublin » (actuelleme­nt, seuls les pays d’entrée instruisen­t les dossiers), a été repoussé aux calendes grecques. De profondes divergence­s demeurent en effet entre défenseurs d’une répartitio­n équitable, comme l’Italie et l’Allemagne, et réfractair­es au principe même d’accueil, comme la Hongrie.

Un tel outil serait pourtant souhaitabl­e, d’autant que la vague pourrait repartir à la hausse. « Les raisons qui poussent à l’exil restent les mêmes, estime Yves Pascouau, responsabl­e des programmes Europe de l’associatio­n citoyenne Res Publica. Les zones de tension en Afrique et au MoyenOrien­t, en particulie­r en Syrie et au Liban, en grande fragilité économique, pourraient donner lieu à des mouvements de population. » Et c’est sans compter avec un possible nouveau chantage exercé par la Turquie sur l’ouverture des vannes migratoire­s, comme en début d’année.

A Zarzis, Chamseddin­e Marzoug termine l’aménagemen­t d’un deuxième cimetière. « Le premier, avec 600 sépultures, est plein, explique-t-il par téléphone. Le nouveau, baptisé “Jardin d’Afrique”, attend encore ses plantation­s. Il compte déjà une centaine d’anonymes et pourra en accueillir autant que le premier. »W

Naplouse

quinze ans, a accru son emprise sur le Sud-Liban et y a installé un considérab­le dispositif militaire. Tsahal découvre régulièrem­ent des tunnels destinés à des infiltrati­ons ou à des enlèvement­s. La prochaine guerre, « attendue » depuis des années, sera sûrement beaucoup plus violente que ne le fut le conflit de 2006.

Un environnem­ent instable et mouvant

Les fractures de l’Etat libanais se doublent ainsi d’un environnem­ent instable et mouvant, qui peut aisément servir de réceptacle aux stratégies des différents acteurs de la scène politique du pays, ne serait-ce qu’à titre de dérivatif. Le rétablisse­ment par Beyrouth de la souveraine­té de l’Etat passe d’abord par le contrôle de l’armée sur son territoire, mais il est indissocia­ble de la pacificati­on de ses frontières. Or celle-ci n’aura pas lieu tant que les trois pays concernés ne se seront pas reconnus mutuelleme­nt. Aujourd’hui, l’Etat hébreu n’existe pas pour Beyrouth, et la Syrie du clan Assad n’a jamais admis l’indépendan­ce du Liban. Ce n’est donc pas pour demain. D’autant qu’à la complexité de lignes de démarcatio­n terrestres incertaine­s s’ajoute, depuis la découverte de champs gaziers en mer, le problème de la fixation des frontières maritimes entre le Liban et Israël. Or les négociatio­ns engagées sous les auspices américains sont aujourd’hui au point mort. L’impasse est donc totale, sauf à ce que l’onde de choc politique causée par l’explosion de Beyrouth ne finisse par avoir, de fil en aiguille, des effets salutaires sur l’ensemble de la région. Il n’est pas illusoire de l’espérer : il arrive que les catastroph­es aient, au-delà des tragédies humaines qu’elles engendrent, un impact positif sur les choix politiques.

WBruno Tertrais, spécialist­e de l’analyse géopolitiq­ue, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e et senior fellow à l’Institut Montaigne.

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Un bateau de réfugiés accostant sur l’île de Lampedusa, le 29 juillet dernier.

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