La grande distribution à couteaux tirés
Redoutant la récession et sa vague de chômage, les grandes enseignes alimentaires ont fait de la préservation du pouvoir d’achat leur nouveau combat. Agriculteurs et industriels s’inquiètent d’un retour de la guerre des prix.
Ils n’ont que ces deux mots à la bouche. En cette rentrée, de la petite enseigne de proximité à l’hypermarché en passant par la moyenne surface, la grande distribution tourne en boucle sur le thème du « pouvoir d’achat ». Et ça se voit. Prix bloqués ou en baisse, produits à prix coûtant, un offert pour un acheté : les rabais et promotions s’affichent sur les panneaux publicitaires, dans les spots TV ou radio et sur les prospectus débordant des boîtes aux lettres.
Champion des enseignes avec un cinquième du marché national, le groupement d’indépendants E. Leclerc a été le premier à sortir du bois en fin de confinement, bloquant dès le mois de mai les prix de plus de 12 000 références de sa marque de distributeur (MDD). Michel-Edouard Leclerc, son président, en a remis une couche en juillet, promettant de réattaquer très fort sur les prix en septembre. Sans que personne n’y trouve à redire… et surtout pas les clients.
Car l’épidémie et l’arrêt brutal de l’activité ont laissé des ménages financièrement exsangues. Malgré le chômage partiel, le revenu brut des Français a chuté de 2,3 % au deuxième trimestre, la plus forte baisse depuis 1949. Si la consommation a logiquement rebondi au début de l’été, des premiers signes d’affaissement apparaissent. Et les études convergent sur un point : nombre de ménages vont regarder à la dépense et tailler dans leur budget au moins jusqu’à la fin de l’année.
Le ton offensif du patron breton est surtout destiné à reconquérir le coeur de certains de ses clients, passés pour un temps à l’ennemi. Le confinement a profité aux réseaux de proximité et aux moyennes surfaces, et donc aux concurrents davantage positionnés sur ces segments (comme les magasins U ou Intermarché). « E. Leclerc a tendance à réagir violemment sur les prix lorsqu’il perd des parts de marché. Dans un effet domino, le reste de la grande distribution suit comme un seul homme », souligne le dirigeant d’une organisation professionnelle de l’industrie alimentaire.
Chacun sa méthode : prix bloqués sur 5 000 références MDD et sélection de fruits et légumes à prix coûtant chez Système U, tarifs imbattables sur 500 produits de grande consommation et « corners » d’occasions à Carrefour, accélération de la promotion personnalisée pour Casino.
Selon le panéliste IRI, qui compile chaque mois les données sur l’évolution des prix, on est entré dans une spirale déflationniste depuis avril. Encore stables sur l’année grâce aux légères hausses de janvier et février, les coûts sont attendus à la baisse d’ici à décembre, notamment dans les hypermarchés, qui ont le plus souffert du confinement. « L’augmentation du panier moyen se tasse, tous les distributeurs se battent pour ramener les gens en magasin. Dans un contexte de crise économique et sociale, le prix est le facteur déterminant », note Emily Mayer, directrice chez IRI.
Alors, est-ce le retour inéluctable de la guerre des prix ? Les principaux intéressés s’en défendent. « Je réfute ce terme. La guerre, il faut la faire au virus, et répondre aux questions de pouvoir d’achat des consommateurs », répond Dominique Schelcher, patron de Système U. « Parlons plutôt de la recherche du prix juste pour le client, le fournisseur et le producteur », se justifie-t-on à Carrefour. D’autres assurent ne pas y concourir, à l’image du directeur des achats de Lidl, Michel Biero :
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