Quand le travail disparaîtra…
A WORLD WITHOUT WORK
ALLEN LANE, 320 P., 20 £. WWWWW
Allons-nous assister, dans les vingt ou trente prochaines années, sinon à la disparition totale, du moins à une brutale raréfaction du travail, en raison de l’évolution des technologies ? Cette question nourrit depuis quelques années d’intenses débats, opposant des points de vue radicalement différents, celui des « optimistes » (la technologie détruit des emplois mais en crée beaucoup d’autres), et celui des « pessimistes » (les machines priveront les humains d’emplois à plus ou moins brève échéance). Daniel Susskind, jeune professeur d’économie à Oxford, conseiller du gouvernement britannique, propose une sorte de troisième voie : la technologie écartera de plus en plus d’humains de l’emploi, mais selon un scénario très progressif et qui n’en touchera pas toutes les formes.
Il commence par un constat : depuis les années 1930, les futurologues prédisent la fin du travail. Jusqu’à ce jour, ils se sont largement trompés. Certes, Keynes a été l’un des premiers économistes à étudier le phénomène du « chômage technologique », et il avait raison en théorie. Mais l’évolution de l’économie depuis la fin de la Première Guerre mondiale n’a pas confirmé la justesse de son intuition. Wassily Leontief, Prix Nobel d’économie en 1973, a élaboré une singulière théorie du même genre, en se fondant sur la fameuse « crise des crottins ». Celle-ci déchaîna les passions à la fin du xixe siècle, lorsque la traction hippomobile menaça d’engloutir les grandes villes sous des monceaux de crottin de cheval et alimenta des prédictions catastrophiques : avec le nombre croissant de chevaux à New York, les déjections équines atteindraient le troisième étage des immeubles. Puis vinrent le moteur à explosion et la disparition du cheval. Un soulagement pour tous mais pas pour Leontiev. Loin de louer les bienfaits de la technologie, il a tiré de cet épisode la conviction que la technologie avait supprimé du paysage un animal qui nous avait rendu service depuis des millénaires, et qu’il en serait de même avec le travail des hommes.
Daniel Susskind ne va pas aussi loin. Il est néanmoins convaincu que le développement des technologies d’intelligence artificielle et d’automation va produire un effet exponentiel sur le travail, car elles n’ont plus rien à voir avec les progrès des décennies précédentes. Elles sont plus radicales, plus intelligentes, plus efficaces, plus compétentes. « Les machines ne feront pas tout, mais elles feront davantage, écrit-il, et lentement mais de façon irrésistible, elles prendront en charge de plus en plus de tâches, et les êtres humains seront contraints de se replier sur un nombre restreint d’activités. » Il n’y aura donc pas de travail pour tout le monde, et le travail qui échappera aux machines échappera aussi à un grand nombre d’actifs, non formés pour l’effectuer.
Une démonstration éclairante, de grande qualité, qui fait une large part à l’histoire des relations entre les hommes et les technologies. Ce livre est d’ailleurs en lice pour le prix du meilleur essai économique de l’année, décerné par la société de conseil McKinsey et le Financial Times.