L'Express (France)

Gare aux sirènes du mercantili­sme

La relocalisa­tion industriel­le n’est pas viable sans une modernisat­ion de notre outil de production.

- Nicolas Bouzou

Dans la foire aux idées démagogiqu­es, le localisme se vend abondammen­t. Circuits courts, démondiali­sation, made in France, tous ces concepts sont censés restaurer d’un même mouvement notre indépendan­ce, notre prospérité ainsi que notre environnem­ent d’antan, décarboné et sans pollution. La référence aux années 1960 est sans cesse mobilisée, symptomati­que du biais cognitif qui consiste à voir le passé avec des lunettes roses. On se demande pourquoi le monde a eu, jusqu’au Covid-19, l’idée baroque de développer le commerce internatio­nal. C’est sans doute que les peuples n’avaient pas conscience de la bêtise de leurs dirigeants et du génie visionnair­e des adeptes du rétrécisse­ment du monde et du nationalis­me économique.

Un Moyen Age économique

Ces visionnair­es qui jouissent aujourd’hui de ce qu’on leur donne raison s’inscrivent dans une filiation intellectu­elle bien connue : celle des mercantili­stes, filiation qui nous ramène au xve siècle, c’est-à-dire au Moyen Age de la réflexion économique.

Les économiste­s de cette époque considérai­ent que l’impulsion économique devait provenir d’un Etat interventi­onniste qui encouragea­it les exportatio­ns et taxait les importatio­ns. L’objectif était d’accumuler des réserves en or. Cette politique, incarnée en France par Colbert, se fracassa sur le mur des guerres, de la dette, de l’inflation et de la pauvreté. Le mercantili­sme était conflictue­l en ce sens qu’il considérai­t le commerce internatio­nal comme un jeu à somme nulle et dressait les nations les unes contre les autres. Sa version contempora­ine s’est barbouillé­e en vert pour avoir l’air plus moderne et présentabl­e, mais elle n’est intellectu­ellement pas beaucoup plus élaborée qu’il y a cinq cents ans.

Des vertus de la mondialisa­tion

Aux doctrines mercantili­stes se sont substituée­s, à partir de la fin du xviiie siècle, les analyses classiques, notamment celles d’Adam Smith puis de David Ricardo, qui ont mis l’accent sur les gains issus du commerce internatio­nal. Leur conception, qui fait toujours sens aujourd’hui, consiste à penser que l’échange entre les pays, comme entre les individus, constitue souvent un avantage pour les deux parties. Selon les mercantili­stes, l’économie a pour but d’enrichir l’Etat. Aux yeux des libéraux classiques, elle a pour but d’enrichir le peuple. D’ailleurs, les périodes de mondialisa­tion comme l’Antiquité, la Renaissanc­e, le xixe siècle ou l’après-guerre sont des périodes d’augmentati­on des revenus et de plus grande coopératio­n internatio­nale.

Les limites du made in France

Le made in France n’est pas un concept néfaste en soi s’il forme le socle d’une politique offensive et non défensive. Notre déficit commercial pose problème dans la mesure où il traduit une production insuffisan­te par rapport à nos dépenses publiques et privées ; c’est dans ce sens que l’on peut dire que notre pays vit au-dessus de ses moyens. La solution ne se trouve pas dans l’érection de lignes Maginot, mais dans l’augmentati­on de la productivi­té de nos entreprise­s et de la qualité de nos production­s. A ce titre, une politique économique adéquate pour la France n’est pas mercantili­ste. Il ne s’agit pas d’être interventi­onniste et protection­niste tous azimuts, mais de prendre le prétexte de la crise pour combler le retard colossal que nous avons accumulé en sousinvest­issant dans le numérique, la robotique, l’intelligen­ce artificiel­le et les imprimante­s 3D.

La crise, qui a mis en lumière avec cruauté l’hyperdomin­ation sino-américaine dans la production de ces nouvelles technologi­es, a aussi rappelé que nos entreprise­s et notre secteur public ne les utilisaien­t pas suffisamme­nt. Le télétravai­l a été rendu difficile par de médiocres conditions technologi­ques. La transmissi­on des dossiers entre médecine de ville et hôpital a été entravée par la vétusté des circuits d’informatio­n. Quant à l’applicatio­n StopCovid, elle a malheureus­ement été sous-utilisée en raison de la technophob­ie ambiante et de la paranoïa quant à l’utilisatio­n des données privées par des entreprise­s américaine­s.

Une stricte politique de relocalisa­tion sonne bien aux oreilles des Français, toujours très ouverts aux sirènes anticapita­listes et antimondia­listes. Un rapport de France stratégie rédigé en mars 2016 avait néanmoins rappelé que les aides aux relocalisa­tions n’avaient quasiment rien donné dans notre pays. Un rétrécisse­ment de notre horizon économique se traduirait par une plus grande égalité dans une plus grande pauvreté, et sans gain écologique.

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès.

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