Gare aux sirènes du mercantilisme
La relocalisation industrielle n’est pas viable sans une modernisation de notre outil de production.
Dans la foire aux idées démagogiques, le localisme se vend abondamment. Circuits courts, démondialisation, made in France, tous ces concepts sont censés restaurer d’un même mouvement notre indépendance, notre prospérité ainsi que notre environnement d’antan, décarboné et sans pollution. La référence aux années 1960 est sans cesse mobilisée, symptomatique du biais cognitif qui consiste à voir le passé avec des lunettes roses. On se demande pourquoi le monde a eu, jusqu’au Covid-19, l’idée baroque de développer le commerce international. C’est sans doute que les peuples n’avaient pas conscience de la bêtise de leurs dirigeants et du génie visionnaire des adeptes du rétrécissement du monde et du nationalisme économique.
Un Moyen Age économique
Ces visionnaires qui jouissent aujourd’hui de ce qu’on leur donne raison s’inscrivent dans une filiation intellectuelle bien connue : celle des mercantilistes, filiation qui nous ramène au xve siècle, c’est-à-dire au Moyen Age de la réflexion économique.
Les économistes de cette époque considéraient que l’impulsion économique devait provenir d’un Etat interventionniste qui encourageait les exportations et taxait les importations. L’objectif était d’accumuler des réserves en or. Cette politique, incarnée en France par Colbert, se fracassa sur le mur des guerres, de la dette, de l’inflation et de la pauvreté. Le mercantilisme était conflictuel en ce sens qu’il considérait le commerce international comme un jeu à somme nulle et dressait les nations les unes contre les autres. Sa version contemporaine s’est barbouillée en vert pour avoir l’air plus moderne et présentable, mais elle n’est intellectuellement pas beaucoup plus élaborée qu’il y a cinq cents ans.
Des vertus de la mondialisation
Aux doctrines mercantilistes se sont substituées, à partir de la fin du xviiie siècle, les analyses classiques, notamment celles d’Adam Smith puis de David Ricardo, qui ont mis l’accent sur les gains issus du commerce international. Leur conception, qui fait toujours sens aujourd’hui, consiste à penser que l’échange entre les pays, comme entre les individus, constitue souvent un avantage pour les deux parties. Selon les mercantilistes, l’économie a pour but d’enrichir l’Etat. Aux yeux des libéraux classiques, elle a pour but d’enrichir le peuple. D’ailleurs, les périodes de mondialisation comme l’Antiquité, la Renaissance, le xixe siècle ou l’après-guerre sont des périodes d’augmentation des revenus et de plus grande coopération internationale.
Les limites du made in France
Le made in France n’est pas un concept néfaste en soi s’il forme le socle d’une politique offensive et non défensive. Notre déficit commercial pose problème dans la mesure où il traduit une production insuffisante par rapport à nos dépenses publiques et privées ; c’est dans ce sens que l’on peut dire que notre pays vit au-dessus de ses moyens. La solution ne se trouve pas dans l’érection de lignes Maginot, mais dans l’augmentation de la productivité de nos entreprises et de la qualité de nos productions. A ce titre, une politique économique adéquate pour la France n’est pas mercantiliste. Il ne s’agit pas d’être interventionniste et protectionniste tous azimuts, mais de prendre le prétexte de la crise pour combler le retard colossal que nous avons accumulé en sousinvestissant dans le numérique, la robotique, l’intelligence artificielle et les imprimantes 3D.
La crise, qui a mis en lumière avec cruauté l’hyperdomination sino-américaine dans la production de ces nouvelles technologies, a aussi rappelé que nos entreprises et notre secteur public ne les utilisaient pas suffisamment. Le télétravail a été rendu difficile par de médiocres conditions technologiques. La transmission des dossiers entre médecine de ville et hôpital a été entravée par la vétusté des circuits d’information. Quant à l’application StopCovid, elle a malheureusement été sous-utilisée en raison de la technophobie ambiante et de la paranoïa quant à l’utilisation des données privées par des entreprises américaines.
Une stricte politique de relocalisation sonne bien aux oreilles des Français, toujours très ouverts aux sirènes anticapitalistes et antimondialistes. Un rapport de France stratégie rédigé en mars 2016 avait néanmoins rappelé que les aides aux relocalisations n’avaient quasiment rien donné dans notre pays. Un rétrécissement de notre horizon économique se traduirait par une plus grande égalité dans une plus grande pauvreté, et sans gain écologique.
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès.