Quand la thérapie sort du cabinet
Avec le coronavirus, certains psychologues ont exercé en extérieur. Une pratique qui peut se révéler très bénéfique.
Le cadre thérapeutique est un élément central d’une psychothérapie. Il encadre les modalités de la pratique clinique, qu’il s’agisse de la durée des séances, de leur tarif ou du lieu des rendez-vous. L’importance de définir un protocole clair et stable constitue un des piliers de la formation de psychologue : divan ou chaise ? Magazine dans la salle d’attente ou bande dessinée ? Bureau entre le psychologue et le patient ou table basse ? Tous ces éléments jouent un rôle crucial et ont un impact sur la thérapie. Toutefois, les avancées technologiques mais aussi l’émergence de nouvelles connaissances viennent bousculer ces modalités du cadre imposé en thérapie.
La téléconsultation, très acceptable
Une des principales nouveautés a été le développement de la téléconsultation. Cependant, son taux d’adoption s’est d’abord trouvé assez limité, celle-ci restant cantonnée à des cas spécifiques : personnes se trouvant dans des régions reculées ou n’ayant pas la possibilité de se déplacer, patients qui déménageaient mais voulaient garder leur thérapeute… Toutefois, l’épidémie de coronavirus a accéléré massivement ce processus, et de plus en plus de psychologues, mais aussi de patients, ont dû adopter la téléconsultation pour poursuivre leurs échanges, et assurer un soutien psychologique pendant le confinement. Cette transformation du cadre thérapeutique a montré que la téléconsultation était un moyen parfaitement acceptable pour un travail clinique, mais que tous ses utilisateurs ne se sentaient pas forcément à l’aise avec ces outils. Le confinement généralisé passé, les rencontres physiques reprennent progressivement. Mais les mesures sanitaires en vigueur peuvent aussi accroître les angoisses, surtout au cabinet : espace fermé, salle d’attente, durée prolongée… Résultat, l’anxiété peut être invalidante et avoir une influence sur la prise en charge thérapeutique.
Se poser dans un parc, un café
Une des solutions consisterait à encourager un nouveau cadre qui serait complémentaire à la thérapie au cabinet et/ou à la téléconsultation : la thérapie en extérieur. Consulter dehors n’est pas une pratique récente et peut prendre plusieurs formes : déambuler en ville, se poser dans un parc, dans un café, ou même en pleine nature, à l’instar des retraites en thérapie de groupe, par exemple. Toutefois, ces modes opératoires défient les conventions et suscitent souvent une réaction perplexe, voire une réticence chez nombre de thérapeutes. Dans ma pratique clinique, et bien avant la pandémie, j’ai pris l’habitude de consulter en extérieur autour d’un thé ou en déambulant dans le quartier de mon cabinet, à Paris. Plusieurs collègues m’ont déjà fait part de leur surprise lorsque je leur expliquais cette démarche. Pour autant, nombre d’études scientifiques relatives à cette pratique témoignent de ses bienfaits lors d’un travail thérapeutique. Une métanalyse publiée en avril 2020 par Sam Cooley, psychologue clinicien au département de neurosciences de l’université de Leicester (Grande-Bretagne), a montré que de plus en plus de psychologues adoptaient la thérapie en extérieur, car ce mode d’échange autorise une plus grande liberté de parole, peut avoir des effets anxiolytiques et promeut une interconnectivité avec l’environnement, tout en étant également bénéfique pour le thérapeute.
Préparation en amont
En revanche, une telle méthode ne doit pas être envisagée à la légère. Il ne s’agit pas pour le psychologue de décider soudainement d’emmener ses patients au café pour boire un verre et discuter. Ce changement d’environnement du « clos au dehors » nécessite une préparation en amont, une bonne compréhension des cadres théoriques et, surtout, une discussion préalable : expliquer la démarche, s’assurer que la personne se sentira à l’aise en public, avoir l’opportunité de revenir à un espace privé
– si besoin en cours de séance –, faire de son mieux pour éviter toute ambiguïté dans la relation, ne pas tomber dans une « surfamiliarité relationnelle », et garantir la confidentialité des échanges. Longtemps, le cadre thérapeutique a été figé à l’intérieur du cabinet, mais la période actuelle pourrait être une opportunité pour continuer à explorer ces différentes manières d’accompagner les personnes qui viennent consulter. Le soin demeure la première mission du psychologue et doit être la priorité qui guide ses décisions, et non pas l’attachement aux modalités de ces soins.
Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue clinicien.