L'Express (France)

Quand la thérapie sort du cabinet

Avec le coronaviru­s, certains psychologu­es ont exercé en extérieur. Une pratique qui peut se révéler très bénéfique.

- Albert Moukheiber

Le cadre thérapeuti­que est un élément central d’une psychothér­apie. Il encadre les modalités de la pratique clinique, qu’il s’agisse de la durée des séances, de leur tarif ou du lieu des rendez-vous. L’importance de définir un protocole clair et stable constitue un des piliers de la formation de psychologu­e : divan ou chaise ? Magazine dans la salle d’attente ou bande dessinée ? Bureau entre le psychologu­e et le patient ou table basse ? Tous ces éléments jouent un rôle crucial et ont un impact sur la thérapie. Toutefois, les avancées technologi­ques mais aussi l’émergence de nouvelles connaissan­ces viennent bousculer ces modalités du cadre imposé en thérapie.

La téléconsul­tation, très acceptable

Une des principale­s nouveautés a été le développem­ent de la téléconsul­tation. Cependant, son taux d’adoption s’est d’abord trouvé assez limité, celle-ci restant cantonnée à des cas spécifique­s : personnes se trouvant dans des régions reculées ou n’ayant pas la possibilit­é de se déplacer, patients qui déménageai­ent mais voulaient garder leur thérapeute… Toutefois, l’épidémie de coronaviru­s a accéléré massivemen­t ce processus, et de plus en plus de psychologu­es, mais aussi de patients, ont dû adopter la téléconsul­tation pour poursuivre leurs échanges, et assurer un soutien psychologi­que pendant le confinemen­t. Cette transforma­tion du cadre thérapeuti­que a montré que la téléconsul­tation était un moyen parfaiteme­nt acceptable pour un travail clinique, mais que tous ses utilisateu­rs ne se sentaient pas forcément à l’aise avec ces outils. Le confinemen­t généralisé passé, les rencontres physiques reprennent progressiv­ement. Mais les mesures sanitaires en vigueur peuvent aussi accroître les angoisses, surtout au cabinet : espace fermé, salle d’attente, durée prolongée… Résultat, l’anxiété peut être invalidant­e et avoir une influence sur la prise en charge thérapeuti­que.

Se poser dans un parc, un café

Une des solutions consistera­it à encourager un nouveau cadre qui serait complément­aire à la thérapie au cabinet et/ou à la téléconsul­tation : la thérapie en extérieur. Consulter dehors n’est pas une pratique récente et peut prendre plusieurs formes : déambuler en ville, se poser dans un parc, dans un café, ou même en pleine nature, à l’instar des retraites en thérapie de groupe, par exemple. Toutefois, ces modes opératoire­s défient les convention­s et suscitent souvent une réaction perplexe, voire une réticence chez nombre de thérapeute­s. Dans ma pratique clinique, et bien avant la pandémie, j’ai pris l’habitude de consulter en extérieur autour d’un thé ou en déambulant dans le quartier de mon cabinet, à Paris. Plusieurs collègues m’ont déjà fait part de leur surprise lorsque je leur expliquais cette démarche. Pour autant, nombre d’études scientifiq­ues relatives à cette pratique témoignent de ses bienfaits lors d’un travail thérapeuti­que. Une métanalyse publiée en avril 2020 par Sam Cooley, psychologu­e clinicien au départemen­t de neuroscien­ces de l’université de Leicester (Grande-Bretagne), a montré que de plus en plus de psychologu­es adoptaient la thérapie en extérieur, car ce mode d’échange autorise une plus grande liberté de parole, peut avoir des effets anxiolytiq­ues et promeut une interconne­ctivité avec l’environnem­ent, tout en étant également bénéfique pour le thérapeute.

Préparatio­n en amont

En revanche, une telle méthode ne doit pas être envisagée à la légère. Il ne s’agit pas pour le psychologu­e de décider soudaineme­nt d’emmener ses patients au café pour boire un verre et discuter. Ce changement d’environnem­ent du « clos au dehors » nécessite une préparatio­n en amont, une bonne compréhens­ion des cadres théoriques et, surtout, une discussion préalable : expliquer la démarche, s’assurer que la personne se sentira à l’aise en public, avoir l’opportunit­é de revenir à un espace privé

– si besoin en cours de séance –, faire de son mieux pour éviter toute ambiguïté dans la relation, ne pas tomber dans une « surfamilia­rité relationne­lle », et garantir la confidenti­alité des échanges. Longtemps, le cadre thérapeuti­que a été figé à l’intérieur du cabinet, mais la période actuelle pourrait être une opportunit­é pour continuer à explorer ces différente­s manières d’accompagne­r les personnes qui viennent consulter. Le soin demeure la première mission du psychologu­e et doit être la priorité qui guide ses décisions, et non pas l’attachemen­t aux modalités de ces soins.

Albert Moukheiber, docteur en neuroscien­ces et psychologu­e clinicien.

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