L'Express (France)

Le mystère du mal

L’avocat François Sureau a lu le dernier roman d’Etienne de Montéty, inspiré par l’assassinat du père Hamel lors d’une célébratio­n de la messe, en juillet 2016.

- PAR FRANÇOIS SUREAU* PAR ÉTIENNE DE MONTÉTY. STOCK, 300 P., 20 €.

Au moment où s’ouvre le procès des attentats commis entre le 7 et le 9 janvier 2015, nous sommes nombreux, je crois, à éprouver un sentiment où se mêlent à parts égales la colère et la lassitude. La réprobatio­n ne nous paraît pas suffire, ni la condamnati­on, ni la parole publique. Il fallait, il faut encore que la littératur­e y aille. Non seulement parce qu’elle est cette part de nous-même que les assassins veulent détruire avec le reste, en ce qu’elle porte un récit qui n’est jamais donné et toujours à reprendre ; mais parce que c’est par elle que nous pouvons approcher de ce qui toujours se dérobe. Ce serait plus commode si les assassins étaient des animaux. Ils n’en sont pas.

La Grande Epreuve d’Etienne de Montéty est le livre de l’heure. Le temps du roman suspend l’analyse, l’opinion, la condamnati­on, le temps de descendre, une torche vacillante à la main, dans le labyrinthe des destinées. Mais c’est à la manière de Simenon, « avec les mots de tous les jours », un style à la mesure de son objet. L’objet, c’est l’assassinat du père Hamel, près de Rouen. L’auteur l’a transporté ailleurs et a modifié la vie de quelques protagonis­tes, mais peu importe. Le récit garde le tremblemen­t de la vérité. Le regard accommode, l’intelligen­ce fait le reste, avec une hésitation permanente qui diffuse dans les pages une angoisse sourde. Ici, le jeune David (Daoud) Berteau, enfant adopté d’une famille ordinaire, « repeint » en Italien dans la pizzeria où il travaille. En lui l’arabité à laquelle on n’échappe pas, et le sentiment de l’humiliatio­n comme une seconde nature. « Il n’est pas Lucky Luke, il n’est pas David Berteau. » Une enfance, une jeunesse biaisées, impossible­s. Là, Hicham et le discrédit de son père, sa vie douloureus­e, incommunic­able à ses enfants.

L’école des mosquées extrémiste­s, celle de la prison, et le passage indéfiniss­able d’une dignité reconquise, d’une simplicité, du désir de justice, à la violence abjecte, aléatoire. « La vérité, c’est quoi ?

Rien d’autre qu’un combat contre l’erreur. » Ici, le récit passe sur des abîmes.

Nous aimons tous la vérité.

Et nous possédons le sens de l’erreur. Nous avons, dans l’Histoire, commis des crimes au nom de ce que nous pensions juste. Et les victimes sont innocentes,

Nous aimons tous la vérité. Et nous possédons le sens de l’erreur. Nous avons, dans l’Histoire, commis des crimes au nom de ce que nous pensions juste. Et les victimes sont innocentes, quoi qu’en disent toujours les assassins

quoi qu’en disent toujours les assassins. La dernière phrase du père Hamel, « Arrière, Satan », puisqu’il semble qu’il l’ait prononcée, paraît nous interdire de confondre l’homme et son acte.

Les figures de prêtres sont difficiles à peindre. Parce qu’il y en a de moins en moins, et parce que les scandales sexuels sont passés par là. Le portrait du père Georges Tellier est une réussite. Il est de son époque ; un curé ordinaire, entre la guerre d’Algérie et la fin du catholicis­me en France, attaché à ses voeux, tenté un moment par une belle et intelligen­te paroissien­ne. A la fin, il célèbre la messe du matin devant un tout petit nombre de fidèles. Ce n’est pas grand-chose, et le récit décrit à merveille la surprise des assassins. Daoud jette l’Evangile à terre. « Tiens, j’aurais pensé qu’il y aurait plus de monde. » Le christiani­sme est prêt à s’effondrer. C’est une religion de perdants. Cette pensée a toujours été celle des puissants, des tueurs, des persécuteu­rs. La soeur Agnès, celle qui se faisait encore belle devant sa glace à la veille d’entrer dans les ordres, les voit « comme des enfants qui jouent ». Puis c’est le crime. Comme on le leur a conseillé, les assassins s’étaient entraînés sur des chats, sur des poulets. Ils n’ont pas pu entrer par la grande porte, qui était fermée, et ont emprunté un chemin latéral. La scène est misérable et triste. Peu après, ils sont abattus par les policiers qu’ils chargaient à l’arme blanche. Le récit est alors aspiré par cette église semblable à tant d’autres, où se sont nouées les destinées du sacrifice, les unes innocentes, les autres coupables, mais toutes également soumises au mystère du mal.

* Avocat et écrivain. Dernier livre paru : L’Or du temps (Gallimard).

LA GRANDE ÉPREUVE,

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Il y a quatre ans, l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (SeineMarit­ime) devenait le théâtre d’une macabre scène de crime.

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