L'Express (France)

Neuralink : les scientifiq­ues restent dubitatifs

- SÉBASTIEN JULIAN S. J.

L’implant cérébral d’Elon Musk doit encore faire ses preuves, mais il ouvre la porte à de belles avancées sur le plan médical.

Après avoir secoué le monde du spatial et celui de la voiture électrique, Elon Musk va-t-il révolution­ner les neuroscien­ces ? Pour les chercheurs, répondre à cette question revient à marcher sur des oeufs. « En tant que scientifiq­ues, nous sommes habitués à commenter des études parues dans des revues et évaluées par nos pairs. Celles-ci présentent à la fois des résultats, des données et une méthodolog­ie », précise Jérémie Mattout, spécialist­e des interfaces cerveau-machine à l’Inserm de Lyon. Or, vendredi 28 août (à minuit, heure française), la conférence animée par le fantasque patron de Tesla, visant à montrer les progrès de l’implant cérébral développé par Neuralink, tenait plus du spectacle que d’une vraie démonstrat­ion technologi­que.

Mais derrière ce show à l’américaine, dont la star était sans conteste Gertrude, un cochon dont le cerveau a été muni d’une puce, les experts ont tout de même décelé quelques prouesses. « Musk et son équipe vont vite. En un an, ils ont beaucoup avancé », commente Blaise Yvert, directeur de recherche à l’Inserm, responsabl­e du secteur neurotechn­ologies et dynamique des réseaux du laboratoir­e BrainTech, à Grenoble (Isère). Certes, Neuralink ne brille pas encore du point de vue de ses expériment­ations. Ses équipes viennent de montrer qu’elles savent suivre l’activité cérébrale d’un cochon, alors que d’autres chercheurs parvenaien­t déjà en 2013 à montrer l’efficacité d’un implant sur un patient tétraplégi­que, lui permettant ainsi de contrôler une prothèse par la pensée. « Cependant, c’est sur le terrain du hardware que Neuralink innove, avec une puce et un robot-chirurgien qui semblent prometteur­s », estime Jérémie Mattout.

La première sert à capter les informatio­ns au niveau des neurones dans le but de déceler correcteme­nt les intentions d’un patient (par exemple, bouger un bras ou une jambe). « Cet implant souple doté de 1 024 micro-électrodes résout le problème du manque d’informatio­ns auquel la concurrenc­e fait face », explique Blaise Yvert. A titre de comparaiso­n, l’Utah Array, une autre puce habilitée à enregistre­r les données issues du cortex humain, se présente comme un « tapis de fakir » rigide de 4 millimètre­s sur 4 avec une centaine de points d’enregistre­ment. A la différence de l’appareil développé par les équipes de Musk, elle ne peut pas atteindre plusieurs couches différente­s du cortex. Sa rigidité, dans un environnem­ent mou comme celui d’un cerveau, peut créer des inflammati­ons autour de l’implant. « Enfin, on constate généraleme­nt une perte de signal au bout de quelques mois, détaille Blaise Yvert. Tout l’enjeu aujourd’hui est de trouver des appareils qui maintienne­nt un signal stable sur le long terme. Avec son implant souple, Elon Musk augmente les chances d’y arriver. »

Le robot destiné à insérer le dispositif dans la tête des patients représente lui aussi une sacrée avancée. Validé l’an dernier sur le rat et désormais sur le cochon, il peut travailler rapidement avec une extrême précision. « L’implant comporte 32 fils munis chacun de 32 électrodes. Il faut donc insérer chacun d’entre eux sans toucher les vaisseaux », précise Blaise Yvert. On imagine mal un humain réaliser cette tâche. Selon Elon Musk, les patients pourraient en théorie recevoir un implant en une heure sans passer par une anesthésie générale. Celui-ci servira à la fois à capter les signaux émis dans le cerveau, mais aussi à stimuler certaines zones. De quoi donner aux personnes concernées un précieux retour sur l’utilisatio­n des prothèses qu’elles contrôlent. « Imaginons un individu équipé d’un bras de synthèse qui décide de s’en servir pour attraper un objet. Cette intention

Recevoir une puce en une heure sans avoir à passer par une anesthésie générale

est d’abord décodée par l’implant dans le cortex. Ensuite, via un algorithme, la prothèse se met en marche et saisit l’objet. Enfin, grâce à la stimulatio­n électrique, un retour sensoriel s’opère, permettant notamment au patient de “ressentir” la pression liée au fait d’attraper l’objet », explique Blaise Yvert. Cette fonction facilitera­it l’apprentiss­age des personnes équipées de prothèses servant à effectuer des mouvements. « Celles-ci deviendrai­ent parfaiteme­nt intégrées », conclut le spécialist­e.

Mais d’autres applicatio­ns sont imaginable­s. Certains chercheurs travaillen­t d’ores et déjà sur des implants rétiniens destinés à redonner la vue à l’aide d’une matrice de micro-électrodes. Ils pourraient, à terme, bénéficier des progrès réalisés par Neuralink. Il en est de même pour les équipes dont les expérience­s consistent à stimuler un système auditif déficient, ou les organes liés à la parole. « Si les appareils développés par Neuralink atteignent leurs objectifs, ils contribuer­ont à des avancées à la fois en recherche fondamenta­le et dans la mise au point de nouvelles applicatio­ns cliniques, estime Jérémie Mattout. Mais, pour le moment, il n’y a que des annonces et beaucoup de promesses, dont certaines sont complèteme­nt farfelues, notamment cette vision du cerveau comme un disque dur qu’il suffit de connecter à un autre dispositif pour pouvoir tout faire : télécharge­r nos souvenirs, implémente­r une compétence, lire dans nos pensées comme dans un livre ouvert… » . Pour convaincre les sceptiques, Elon Musk aura besoin de toute sa matière grise. plusieurs défauts, tempèrent les savants. Tout d’abord, la multiplica­tion des petits réacteurs pourrait accroître d’autres types de risques tels que le piratage ou les attaques terroriste­s. Ensuite, les SMR sont entourés d’autres structures (enceinte, bassin…). De fait, ils ne sont pas si bon marché, en proportion du nombre limité de mégawatts qu’ils produisent (60 chez NuScale, 170 pour le projet français Nuward développé par le CEA, EDF et Naval Group, et 1 700 pour l’EPR). « Enfin, ils n’ont de sens que dans les pays où les réseaux électrique­s ne sont pas interconne­ctés, comme le Canada ou l’Asie du Sud-Est, ou dans les régions reculées », estime Jacques Chénais. Ce qui exclut la France métropolit­aine.

Mais, pour les pays déjà équipés d’un parc nucléaire conséquent, il existe d’autres façons de réduire les risques. L’une d’elles consiste à construire des réacteurs à sels fondus (MSR). « Ces installati­ons possèdent deux caractéris­tiques principale­s : elles utilisent les déchets (plutonium et uranium appauvri) pour fonctionne­r, et elles suppriment le risque d’explosion car leur coeur, constitué d’un mélange de sel et de combustibl­e, est déjà fondu », précise Joël Guidez. Avec un MSR, il ne peut donc pas y avoir d’accident de type Tchernobyl ou Fukushima. Le pilotage, plus simple, se fait sans insérer de barre de commande dans le coeur. La montée en puissance – ou la baisse – s’effectue rapidement. Toutefois, à la différence des SMR, cette technologi­e ne verra pas le jour à court terme. Aux EtatsUnis, un réacteur a fonctionné suffisamme­nt longtemps pour montrer que le concept était opérationn­el. Cependant, il reste beaucoup de recherches à mener. Au bout d’un moment, le réacteur s’étouffe en raison des réactions chimiques, complexes. Il faut donc extraire et traiter une partie du coeur liquide afin de renvoyer le sel, l’uranium et le plutonium à l’intérieur. « Une tâche difficile : vous avez toute la table de Mendeleïev dans la même mixture, détaille Joël Guidez. Il manque aussi beaucoup de R&D pour maîtriser la solubilité des divers éléments ainsi que la corrosion engendrée par les réactions chimiques. »

Ces difficulté­s ne découragen­t pas la Chine, plus gros investisse­ur dans cette technologi­e. A Shanghai, un millier de chercheurs travaillen­t sans relâche à l’élaboratio­n d’un démonstrat­eur. Les autres pays (France, Russie, Etats-Unis) devront mobiliser davantage leurs équipes pour espérer mettre leur grain de sel.

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