L'Express (France)

A quand une Fondation Gates pour l’Europe ?

- PAR ÉRIC CHOL ET PASCAL POGAM — — — — —

Des scientifiq­ues appellent les milliardai­res du Vieux Continent à s’unir et à investir dans l’environnem­ent et la santé.

Mais qu’est-ce qui fait courir Bill Gates ? A presque 65 ans, le fondateur de Microsoft, reconverti depuis vingt ans dans l’entreprene­uriat humanitair­e, continue de cumuler tous les superlatif­s. Une fortune XXL, une intelligen­ce hors norme, un carnet d’adresses planétaire et une fondation aux moyens financiers inégalés. Sans oublier les critiques, XXL elles aussi, qui pleuvent par tombereaux sur le milliardai­re américain, en particulie­r depuis l’apparition de la pandémie. Lui n’en a cure (voir son interview pages 22-24) et poursuit sa mission au côté de sa femme, avec le soutien de son ami Warren Buffett qui vient de fêter ses 90 ans.

La Fondation Bill et Melinda Gates a déjà déboursé 350 millions de dollars pour aider au développem­ent du premier remède contre le Covid-19. Car l’ancien geek de Microsoft en est convaincu : plus vite on vaccinera l’ensemble de la population, plus vite on arrêtera les méfaits médicaux, sociaux et économique­s causés par le virus. Ignorant les théories complotist­es, sa fondation multiplie les initiative­s et se voit comme un aiguillon scientifiq­ue et financier au service de l’humanité. L’éradicatio­n de la polio en Afrique, devenue effective à la fin août ? Elle peut lui être en grande partie attribuée. Le financemen­t de l’Organisati­on mondiale de la santé ? Au moment où l’Amérique de Donald Trump se désengage de l’agence basée à Genève, celle-ci peut compter sur les chèques de la Fondation Gates. L’accès pour tous à un vaccin contre le Covid ? C’est la priorité que s’est fixée l’homme d’affaires de Seattle.

« Bill Gates appartient à cette catégorie des despotes philanthro­piques éclairés », relève Antoine Vaccaro, président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthro­pie. Un type de mécène qui est longtemps resté l’apanage du monde anglo-saxon. Mais l’Europe est en train d’accomplir sa révolution.

Suffisamme­nt pour voir émerger demain sur le Vieux Continent une organisati­on capable de rivaliser en taille et en efficacité avec celle de Bill et Melinda Gates ? C’est en tout cas le rêve que caressent les 76 scientifiq­ues de renom signataire­s en juin dernier d’une tribune dans la prestigieu­se revue Nature appelant à la mobilisati­on des milliardai­res européens pour créer une fondation au service de la prévention des crises sanitaires et environnem­entales.

EXCLUSIF

Les premières semaines chaotiques de la pandémie de Covid-19 ont servi de leçon. « Nous avons pris conscience que les scientifiq­ues ou les Etats étaient démunis et incapables d’apporter une réponse opérationn­elle rapide », confie le biologiste Francis-André Wollman, qui prépare pour cet automne un livre blanc sur le sujet. L’idée paraît simple : demander un soutien aux grandes fortunes du Vieux Continent (on y compte 330 milliardai­res, donc l’argent est bien là !). Mais comment convaincre un Bernard Arnault ou un François Pinault de s’engager dans un tel projet, eux qui sont plus connus pour leur soutien à la cause artistique ?

Certains économiste­s estiment que seule la manière forte serait susceptibl­e de fonctionne­r et appellent à taxer au niveau européen les extrêmemen­t riches. Une solution très « française », qui a peu de chance de déboucher sur une Fondation Gates. Plus pragmatiqu­es, les scientifiq­ues ont sans doute trouvé la bonne approche avec la publicatio­n de cette tribune qu’ils considèren­t comme une « main tendue » vers le monde de l’argent ; ils ont compris que, pour convaincre celui-ci de se mobiliser, il faudra lui présenter de sérieuses garanties sur la future fondation : objectifs, mode de décision, transparen­ce, gouvernanc­e… Et, surtout, lui faire savoir que si ses milliards sont indispensa­bles, ils ne seront pas suffisants : la réussite de la Fondation Gates tient également à ses méthodes de travail, inspirées par son dirigeant. « Les contributi­ons du monde privé doivent aller au-delà de l’aspect financier », commente Michel Goldman, directeur de l’institut I3h de l’université libre de Bruxelles et signataire de cet appel, qui souhaitera­it voir se développer en Europe un esprit de venture philanthro­py.

Le projet n’a rien d’utopique. Longtemps, l’argent du privé n’était pas en odeur de sainteté dans le milieu de la recherche. Mais la pénurie chronique de fonds publics et les délais de réponse inadaptés des institutio­ns ont fini par vaincre des réticences. Et si l’addition des grands mécènes peut faciliter l’installati­on d’un instrument efficace pour affronter les crises climatique­s ou sanitaires, c’est le moment d’aller frapper à leurs portes. Il faudra encore les persuader de cohabiter, au profit du bien commun. En matière de philanthro­pie aussi, l’Europe doit compter sur elle-même.

P. 22. « 40 milliards de dollars suffisent pour vacciner le monde entier »

P. 24. Dans les rouages de la Fondation Gates

P. 25. Covid-19 : la guerre des vaccins aura bien lieu

P. 26. Le nouvel antéchrist des complotist­es

P. 27. En Côte d’Ivoire, les effets secondaire­s du coronaviru­s

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