L’homme est une soeur comme les autres
CUne idéologie belliqueuse avance, selon laquelle les hommes ne pourraient, par essence, être féministes…
e jour-là, il y avait d’abord eu l’interview de Reza Khandan, l’époux de l’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh. Il y a un an et demi, cette militante héroïque a été condamnée à trente-trois ans de prison pour avoir défendu des femmes ayant ôté leur voile en public. Depuis, Reza Khandan se bat pour faire entendre et libérer sa femme, tout en élevant leurs deux enfants à Téhéran, dans des conditions de harcèlement incessant. Le 10 août dernier, la captive a entamé une grève de la faim pour protester contre la situation des prisonniers politique en Iran ; son mari joue donc à nouveau les porte-voix dans la presse internationale. Au reste, lui-même a été incarcéré durant plus de cent jours il y a deux ans, pour avoir épinglé à sa poitrine un badge contre l’obligation du port du voile.
Le hasard a fait que, ce même jour de début septembre, je suis tombée à la fois sur une interview du valeureux Khandan (1), donc, et sur une émission de France Culture – en réécoute – intitulée : « Peut-il y avoir des hommes féministes ? »… Et j’avoue qu’une grande lassitude m’a étreinte. Ce genre de (faux) débats – « Peut-on être blanc et antiraciste ? », « Peut-on être hétéro et combattre l’homophobie ? » – me barbe déjà d’ordinaire, mais l’aberrante proximité de celui-ci avec ce que je venais de lire sur le combat de ce couple iranien a ajouté, ce jour-là, l’abattement à l’incompréhension. Dans nos émissions de radio, mais aussi à la télé, à l’université, ou dans les colonnes des journaux, l’essentialisation – qui consiste à généraliser en blocs monolithiques des catégories de population sur un critère de genre, de religion, de couleur de peau ou de sexualité – fait désormais rage. La sociologie subventionnée y déploie son intimidant jargon tissé de « masculinité toxique » (« normes du comportement masculin qui sont associées à un impact négatif sur la société »), de male gaze (« point de vue de la culture visuelle dominante dans les magazines, le cinéma, etc., qui impose au public d’adopter une perspective d’homme hétérosexuel ») et prône des luttes en « non-mixité », c’est-à-dire interdites aux hommes, substituant à la notion de fraternité celle de sororité – histoire d’extraire le « mâle » à la racine. Ne voientelles pas que l’homme peut être une soeur comme les autres ?
Cette mécanique qui prend la partie pour le tout, et le tout pour l’adversaire, amène parfois à des saillies plus tonitruantes encore. Comme celle de l’activiste et élue parisienne EELV Alice Coffin, qui a récemment déclaré sur un plateau de télévision : « Ne pas avoir un mari, ça m’expose à ne pas être violée, ne pas être tabassée, et ça évite que mes enfants le soient aussi. »
Parfois, une grande envie me prend de laisser ces dingueries à la bulle langagière des milieux militants et médiatiques. A quoi bon ? Il y a une France – très majoritaire – qui vit sans rien « calculer » de ces concepts prétentieux ; une France qui vit, ignorant tout des mines outragées qui prennent le bon sens en otage sur les plateaux télé. « La gravité est le bouclier des sots », ciselait Montesquieu… Et notre époque, qui glorifie l’émotion et l’indignation, renforce encore un peu l’efficacité métallique du blindage. C’est ainsi qu’une idéologie belliqueuse maquillée en progressisme avance, renvoyant ceux qui disent autrement à leurs privilèges supposés de genre ou de « race », leur déniant le droit d’avoir voix au chapitre pour leurs frères et soeurs en humanité.
« Plus de deuxième chance, écrit l’intellectuel Régis Debray : le stigmate bourgeois oppresseur n’était pas irrémédiable. On pouvait encore s’inscrire au Parti communiste, rejoindre la CGT ou un maquis au Mozambique. Mais avec “le privilège de l’homme blanc” – comment se racheter ? Le dermatologue, le psychanalyste ? » (2) L’étouffement du débat par le discrédit de l’autre sur des critères auxquels il ne peut rien devrait nous alerter. Toute l’histoire de l’humanisme réside dans le dépassement de l’altérité par la fraternité et la citoyenneté, et non par le découpage en groupes supposés homogènes par catégories de genre, d’origine ou de religion. Essentialisation, piège à con.ne.s !
Malgré la tentation, parfois, de céder à l’injonction de faire silence, je crois qu’il ne faut pas abdiquer. Car une nouvelle génération, très imprégnée de cette nouvelle doxa, doit savoir qu’il existe un autre féminisme, un autre antiracisme, qui ne sont ni honteux, ni « réac », ni hypocrites, auxquels on doit les avancées encore incomplètes mais vertigineuses du dernier siècle. De plus, les dégâts de ces nouvelles radicalités sont loin d’être anecdotiques. Pour s’en convaincre, il suffit de mesurer comment les tenants de cette vertu granitique sont en train de s’en prendre à la liberté de création. Aux Etats-Unis, les éditeurs ont, cet été, tout simplement renoncé à publier un livre devant un tollé annoncé, au motif que ladite oeuvre raconte l’histoire d’une petite fille noire au temps de l’esclavage et que son auteur, Timothée de Fombelle, est un homme blanc. Voilà donc le nouvel air que nous respirons. Il est glaçant.
(1) Lepoint.fr, 9 septembre.
(2) Alignez-vous ! (Gallimard).
Lire aussi la tribune d’Elisabeth Badinter dans Le JDD du 6 septembre.
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