Covid-19 : la guerre des vaccins aura bien lieu
Les Etats riches sont engagés dans une course aux accords avec les laboratoires, menaçant l’instauration d’un système plus coopératif. Un calcul à courte vue.
En matière de nationalisme vaccinal, l’Europe n’a guère de leçons à donner aux Etats-Unis. Le président américain, Donald Trump, a choqué la planète entière avec ses America first et ses diatribes contre l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais derrière leurs grands discours sur le vaccin contre le Covid-19 « bien public mondial », sur l’accès universel et l’éthique, les dirigeants européens se montrent presque aussi redoutables dans la bataille pour les futurs approvisionnements. « D’ici fin septembre, nous aurons sécurisé 1 milliard de doses pour les citoyens de l’Union », s’est ainsi félicité Clemens Martin Auer, membre de l’équipe chargée de négocier avec les fabricants, lors d’une récente conférence en ligne. Bien sûr, a-t-il aussitôt indiqué, « les VingtSept apporteront des moyens à l’OMS afin qu’elle achète des injections pour le reste du monde ». A condition toutefois qu’il reste des doses disponibles…
Deux chiffres montrent à eux seuls l’ampleur des tensions qui auront lieu dans le monde le jour où un vaccin sera mis sur le marché. D’un côté, les capacités de production mondiales : elles sont évaluées à 3 ou 4 milliards de doses d’ici à la fin de 2021 (1). De l’autre, le volume des réservations déjà passées par un petit club de pays riches (Etats-Unis, Royaume-Uni, UE, Japon, Australie…) : 5 milliards de doses selon la fédération internationale des fabricants (l’IFPMA). « Les capacités de production peuvent augmenter, et toutes les précommandes ne seront pas forcément honorées, car certains produits ne seront pas efficaces. Mais il n’empêche : la part du gâteau réservée aux autres pays se réduit au fur et à mesure que se multiplient les accords bilatéraux », déplore Suerie Moon, codirectrice du Global Health Center, à Genève.
L’histoire avait pourtant bien commencé. Après les bagarres sur les tarmacs des aéroports pour les écouvillons et les masques, les dirigeants de la planète s’étaient retrouvés le 24 avril afin de lancer une grande initiative pour l’accès aux outils de lutte contre le Covid. S’était ensuivie au début de juin la création d’une plateforme multilatérale pour l’achat et la distribution des futurs vaccins, le dispositif Covax. « C’était magnifique, tout le monde était prêt à s’engager, à mettre de l’argent. Et puis, assez vite, si ce n’est en même temps, cela a dérapé, certains pays ont commencé à signer des deals en direct avec les laboratoires, ce qui fragilise tout le système », rappelle Nathalie Ernoult, directrice de campagne pour Médecins sans frontières.
La faute à Trump, bien entendu : le président américain a dépensé des milliards pour s’assurer que les Américains seraient les premiers à bénéficier d’un vaccin. De peur de se retrouver démunis, les autres pays riches se sont lancés dans la course, et à présent des nations à revenus intermédiaires comme le Brésil ou l’Afrique du Sud passent aussi des accords directs avec les laboratoires. « On répète les mêmes erreurs, celles des années 2000 où l’attitude des plus riches a retardé de quatre ou cinq ans l’accès des pays pauvres aux médicaments anti-VIH, ou de 2009, quand ils ont acheté tous les vaccins disponibles contre la grippe H1N1 », déplore German Velasquez, conseiller spécial du think tank South Center et ancien directeur du département de santé publique à l’OMS.
Les inconvénients de ce chacun pour soi sont légion. Selon une modélisation publiée par la Fondation Bill et Melinda Gates, si les nations les mieux loties acquièrent les deux premiers milliards de doses de vaccin au lieu de s’assurer de leur répartition proportionnelle à l’ensemble de la population mondiale, « près de deux fois plus de personnes pourraient mourir du Covid-19 ». Outre les pertes humaines, l’économie des pays en développement resterait paralysée, pénalisant en retour les pays riches.
Le Covax ambitionne de répondre à ces problèmes. L’OMS, la Cepi et la Gavi (2), les organisations internationales impliquées dans le développement et la distribution des vaccins, ont travaillé d’arrache-pied pour promouvoir ce qui devrait à la fois représenter une structure d’aide, par le don de vaccins aux pays pauvres, et surtout un groupement d’achat international. « Il devrait passer les commandes pour les Etats et répartir les doses entre eux », explique Aurélia Nguyen, directrice générale pour les vaccins de la Gavi. Pour réussir, il faut qu’un maximum de pays s’engagent :