L'Express (France)

En Côte d’Ivoire, les effets secondaire­s du coronaviru­s

- SÉBASTIEN HERVIEU (ABIDJAN)

Centrées sur la lutte contre la pandémie, les forces sanitaires et l’aide internatio­nale ont délaissé d’autres priorités, comme le paludisme.

Dans la salle d’attente ouverte aux quatre vents, une vingtaine de personnes, des femmes surtout, patientent sur les bancs nus en béton. « Petit à petit, ça revient à la normale », observe Bertin Koffi, responsabl­e du centre de santé d’Abobo BC, un quartier populaire d’Abidjan. « Au début de l’épidémie, les gens avaient tellement peur de venir ici que, certaines journées, nous n’avions aucun patient ! » se souvient-il. En cause, la crainte d’« attraper le corona ». « Ils préféraien­t se soigner chez eux avec des mixtures traditionn­elles à base de feuilles d’arbre plutôt que de venir chercher nos médicament­s », raconte ce médecin qui, avec son équipe, a dû parcourir les ruelles défoncées environnan­tes pour rassurer les habitants.

Grâce à la jeunesse de sa population et à la réactivité des autorités, la Côte d’Ivoire, comme la plupart des autres pays africains, a été relativeme­nt épargnée par la pandémie de Covid-19. Depuis la détection du premier cas en mars et jusqu’au 11 septembre, 119 personnes « seulement » en sont mortes. Toutefois, il est possible que cette crise sanitaire ait eu des effets collatérau­x, en nuisant à la lutte contre d’autres maladies infectieus­es dans la région. En 2014-2016, Ebola avait tué 11 000 individus directemen­t, et 10 000 autres de façon indirecte, selon un chercheur camerounai­s.

« La baisse de la fréquentat­ion des centres de santé a été générale, constate le Dr Solange Amethier, présidente de l’instance de coordinati­on ivoirienne du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculos­e et le paludisme. Des gens n’ont pas pu être diagnostiq­ués, et d’autres, malades de la tuberculos­e ou du sida, se sont retrouvés affaiblis en ne prenant plus leur traitement régulièrem­ent, explique-t-elle. Ces personnes courent le risque que d’autres infections se greffent sur leur maladie et les emportent rapidement. » La responsabl­e ne dispose pas encore de chiffres pour évaluer cette possible surmortali­té.

Pour le paludisme, l’Organisati­on mondiale de la santé avait alerté en avril dernier sur le risque d’un doublement du nombre de morts par rapport à 2018. L’Afrique subsaharie­nne concentre 94 % des décès de cette maladie véhiculée par les moustiques. Cinq mois plus tard, le Dr Antoine Tanoh se veut rassurant. « Nos remontées du terrain n’indiquent pas de flambée », relate le directeur du programme national de lutte contre le paludisme, première cause de consultati­on en Côte d’Ivoire. « Le Covid est arrivé dans le pays trois mois avant le début de la saison des pluies, ce qui nous a laissé le temps de sensibilis­er les population­s. » Mais pas de fournir des moustiquai­res imprégnées d’insecticid­e. Prévue tous les trois ans, la distributi­on a été repoussée à l’an prochain.

Les projets de recherche ont également subi un coup d’arrêt. « Nous ne pouvions plus aller dans les villages, raconte Serge Assi, chercheur en parasitolo­gie à l’institut Pierre-Richet à Bouaké, dans le centre du pays. Avec nos protection­s, les habitants nous prenaient pour des cosmonaute­s et ils craignaien­t qu’on leur apporte la maladie. » A plus long terme, le financemen­t de nouvelles études ne semble pas remis en question. « Les fonds dégagés pour la riposte contre le Covid-19 sont ajoutés – et non soustraits – à ceux prévus pour lutter contre les autres maladies », assure Solange Amethier, du Fonds mondial, l’un des principaux donateurs internatio­naux. Des garanties bienvenues, mais qui amènent le chercheur Serge Assi à s’interroger. « Quand on compare le nombre de morts du Covid19 en Afrique [32 000] à celui du paludisme [380 000 en 2018], il y a deux poids et deux mesures, juge-t-il. Si seulement nous pouvions mettre autant de moyens sur la table en aussi peu de temps pour trouver enfin un vaccin contre le paludisme… » ✷

Evolution du PIB prévue pour 2020

EtatsUnis - 8%

Canada - 8,4 %

Mexique - 10,5 %

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