Marseille s’aime en opposante n° 1 à Paris
Dans un élan de fierté retrouvée, la cité phocéenne joue volontiers les frondeuses face à la capitale. Simple effet d’optique ou changement en profondeur?
président (LR) du conseil régional de Paca, demande au gouvernement des décisions « mesurées », craignant que son territoire ne soit pointé comme le « mauvais élève » et « stigmatisé ». Et tant pis si Marseille et ses environs subissent bien une forte accélération de la circulation du virus. Fin août, autre casting, message proche, lors de la conférence de presse commune sur le Covid entre la nouvelle maire, de gauche, Michèle Rubirola, l’héritière malheureuse de Jean-Claude Gaudin, Martine Vassal, et Didier Raoult : montrer à « ces messieurs de Paris » qu’ils ne peuvent pas décider seuls de fermer bars et restaurants à 23 heures. « Marseille fait fort », titre le lendemain La Provence.
Dans la cité phocéenne, on adore la provocation, le bon mot, la galéjade. « Ne laisse jamais la vérité gâcher une bonne histoire » est un impératif local. On y glorifie les personnages provocateurs à la Didier Raoult. Et peu importe que le traitement à l’hydroxychloroquine n’ait jamais fait la preuve de son efficacité, peu importe qu’il n’ait pas cru à la résurgence de l’épidémie aujourd’hui réelle, la popularité du médecin reste intacte. Parce qu’il a essayé de soigner, parce que, dans son IHU, on peut se faire tester à un rythme plus rapide qu’ailleurs, parce qu’on lui tape dessus et que les Parisiens ne veulent pas reconnaître son talent, une majorité de Marseillais le défend.
Au-delà de ces épisodes théâtraux, un mouvement plus profond est à l’oeuvre. Le regard porté sur Marseille a changé. Hier, on parlait fusillades, trafics de drogue et habitat insalubre, désormais on évoque qualité de vie, ville frondeuse, voire modèle à suivre. On envie ses habitants. Pas seulement pour le triptyque ciel bleu-mer-soleil, mais pour la singularité de leur cité. L’élection municipale a fait office de révélateur, avec la victoire inattendue du Printemps marseillais, une coalition verte, socialiste, insoumise, et l’élection au poste de maire d’une quasi-inconnue, Michèle Rubirola, issue des rangs d’EELV. Le scrutin a signé la fin de vingt-cinq ans de règne de la droite et de Jean-Claude Gaudin. Et le rejet de certaines pratiques politiques, paternalistes voire clientélistes. « Pendant longtemps, les politiques marseillais n’ont pas été pris au sérieux par l’Etat, il faut restaurer de la confiance », avance Olivia Fortin, membre de l’équipe municipale, issue de la société civile et adjointe chargée de la modernisation des services municipaux.
Désormais, le modèle politique est regardé avec intérêt, presque comme le Graal permettant de sauver la gauche. Fin août, lors de l’université d’été du Parti socialiste à Blois, en Loir-et-Cher, Olivier Faure, le premier secrétaire, y fait clairement allusion avec son « printemps social et écologique » à construire. Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, y voit « peut-être même, en termes de méthode, une leçon pour l’avenir » dans le commentaire qu’elle poste sur Facebook de la note rédigée par Olivia Fortin pour la Fondation
On n’envie pas seulement le tryptique ciel bleu-mer-soleil, mais la singularité de la cité
Jean-Jaurès sur le déroulé de la campagne (« Comment prendre Marseille quand on est nombreux, déterminés, avec du poulet »). Voilà belle lurette que l’on n’avait pas pris Marseille ainsi comme exemple. Cette victoire, ajoutée à une capacité de penser et de vivre autrement, contribue à son attractivité récente. « Cette ville est pétrie de contestation, de rébellion. Et ça a commencé bien avant le 5 novembre 2018 et l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne. Il y avait déjà des initiatives comme celle de la Friche la Belle de mai, des lieux alternatifs, culturels et artistiques », résume Michel Peraldi, anthropologue et coauteur de Marseille en résistances (La Découverte).
Cet aspect déglingue séduit des « Parisiens », souvent artistes ou issus des milieux culturels et intellectuels. La hausse inédite de 63 % de la fréquentation touristique cet été par rapport à 2019 en témoigne – le coronavirus n’explique pas tout. Comme ces restaurants végans qui fleurissent dans les quartiers centraux de la ville, ces rues, hier abandonnées, relancées à coups de boulangeries bio, de caves à vins naturels, ou cet ancien Tati, fermé depuis des années, en passe de se transformer en souk égyptien branché. Tous signent la mue sociologique d’une partie de Marseille.
Ces néo-Marseillais adorent le côté village de chaque quartier, sont adeptes de ces conférences sur la « vélorution féministe en mixité non choisie CIS » ou de ces « journées du matrimoine », vantées aux abords du cours Julien. Ils fréquentent les bars associatifs de la rue Consolat, où l’on mange « à prix coûtant » ou « à prix soutien » en fonction de ses moyens, quitte à apprendre le lendemain qu’une fusillade y a blessé trois personnes dans la nuit. Entre Manifesta, la biennale itinérante d’art contemporain, et le Mondial de la pétanque, deux événements récents, ils ne veulent pas choisir, parce que c’est ce qui leur donne un petit côté à part, un peu canaille.
En revanche, ils sont plus exigeants à l’égard des responsables politiques. Ils ont largement contribué à la victoire du Printemps marseillais. « Les trois arrondissements qui ont connu un renouvellement de plus de 30 % de leur électorat (le Ier, le VIe et le IIe) ont tous donné au Printemps marseillais des scores supérieurs à 30 % au premier tour, plus de 6 points au-dessus de sa moyenne », souligne Jean-Laurent Cassely, chroniqueur à L’Express, dans sa note pour la Fondation Jean-Jaurès, « Comment la gauche néo-marseillaise a éjecté la bourgeoisie locale ». Et ils attendent beaucoup de leurs nouveaux élus : « Cette population a du mal à accepter qu’à 1 kilomètre de chez eux il y ait une misère pareille », note Saïd Ahamada, député LREM des quartiers Nord. « Les gens qui s’installent ici n’admettent pas le “C’est comme ça, c’est Marseille”. Et les habitants historiques se rendent compte qu’ils ne devraient pas tolérer une telle pauvreté, des écoles dans cet état… » renchérit Olivia Fortin.
La nouvelle majorité municipale réussira-t-elle ce travail de fond ? Les « néo » veulent y croire, les anciens se lassent. « Marseille, je l’aime autant que je la déteste, elle a beaucoup de qualités, est très attractive, mais on manque de débouchés en termes d’emplois, on manque de transports… C’est la ville des possibles qui rate chaque fois ses rendez-vous », regrette Claire Pitollat, députée LREM, marseillaise qui a quitté la ville pour ses études puis y est revenue il y a cinq ans. Et de citer comme exemple les budgets débloqués par l’Etat pour remettre en état des piscines qui ne sont pas dépensés, faute de dossiers présentés. « Que la ville élise une femme comme maire, c’est la preuve qu’elle est capable de beaucoup. Et en choisissant ce nom, référence directe aux printemps arabes, le Printemps marseillais est une aspiration à de nouvelles choses. Reste à passer du printemps qui bourgeonne au vécu », ajoute Abobikrine Diop, responsable d’un centre social. Six ans pour partager avec tous, y compris les quartiers populaires, cette fierté marseillaise renaissante. Ou pour constater qu’il s’agissait juste d’une belle histoire inventée par quelques Parisiens en mal d’exotisme, mâtinée de folklore local soigneusement entretenu.
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Gueguen, dont les titres des précédents best-sellers (Heureux d’apprendre à l’école, Pour une enfance heureuse) sonnaient déjà comme une promesse de bonheur. Pour la spécialiste, cette tendance s’inscrit dans un mouvement général. « Les femmes, à travers le phénomène #MeToo, rejettent les violences qui leur sont faites. La cause animale est portée par de plus en plus d’adeptes. Les enfants, victimes de maltraitance, méritent également que l’on se penche sur leur sort », précise-t-elle.
Difficile, a priori, de ne pas adhérer à son discours. Et pourtant. Depuis quelques mois, de nombreux professionnels de l’enfance s’inquiètent de voir défiler, dans leurs cabinets, des parents de plus en plus déboussolés. « Ce nouveau dogme de la bienveillance tend à leur faire croire que tout conflit pourrait se résoudre à grand renfort de câlins, de tendresse et d’explications. Une vaste blague ! » attaque la psychologue Caroline Goldman, auteur de File dans ta chambre ! Offrez des limites éducatives à vos enfants (2). Qui peut se targuer de n’avoir jamais haussé le ton devant sa progéniture, fait les gros yeux, menacé de la priver de sortie ou de dessert ? Or, à la lecture de certains de ces ouvrages qui squattent les rayons de développement personnel en librairie, on apprend que ces actes entreraient dans le champ des violences ordinaires. « Bien sûr que punir un enfant en l’envoyant dans sa chambre est une forme d’humiliation », confirme Catherine Gueguen. « Que diriez-vous si votre conjoint, votre patron, agissait de la sorte ? Vous ne l’accepteriez pas. Pour un enfant, c’est pareil », déclare-t-elle, consciente que cette « révolution éducative » puisse déstabiliser.
Déstabiliser, voire paralyser, certains adultes qui tremblent à l’idée de traumatiser à vie la prunelle de leurs yeux au moindre faux pas ou mot de travers. Selon leurs détracteurs, les figures de proue de l’éducation positive entretiendraient la confusion entre les cas d’enfants maltraités et ceux d’enfants parfaitement heureux mais à qui on impose certaines limites. Un raccourci dangereux. « Récemment, une mère m’a expliqué que son fils refusait de se faire vacciner. Elle craignait, en le forçant, de perdre définitivement sa confiance », raconte ainsi Caroline Goldman qui appelle au « retour du bon sens dans l’éducation ». « Les premières victimes de cette dérive sont bel et bien ces enfants privés de cadres, qui tyrannisent leurs professeurs, leurs amis, leurs familles, poursuit-elle. Rejetés et isolés à cause de ces débordements comportementaux, ils en tirent une mésestime d’euxmêmes tragique. »
Aux yeux du pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, le terme même de « parentalité positive » tend à tuer toute critique dans l’oeuf. « Ces deux mots vont tellement bien ensemble! Comment pourrait-on se prononcer contre un tel projet ? », lance l’auteur de Comment survivre à ses enfants ? Ce que la parentalité positive ne vous a pas dit (3). Le spécialiste s’emporte contre les fausses promesses et les raccourcis de ces marchands de bonheur et d’harmonie. « S’il y avait des recettes toutes faites, applicables sur n’importe quel enfant, ça se saurait ! » lance le médecin. Depuis quelques années, certains pédagogues se retranchent derrière les progrès de la recherche. « Nous avons l’immense chance, aujourd’hui, de pouvoir nous appuyer sur des travaux scientifiques extrêmement poussés, avance Catherine Gueguen. Nous connaissons, désormais, les effets d’une attitude empathique et bienveillante ou, à l’inverse, humiliante et violente, sur le cerveau d’un enfant. » De là à en déduire que le simple fait d’élever la voix peut influer sur le développement de ses circuits neuronaux, il y a un énorme pas… que certains n’hésitent pas à franchir. « En s’en tenant aux structures anatomiques et fonctionnelles du cerveau, on nie la complexité de ce qui fait la nature humaine », ajoute Patrick Ben Soussan, pour qui l’influence primordiale, des facteurs sociaux, environnementaux, économiques, culturels, est trop souvent oubliée.
Médecins, sociologues, chercheurs sont de plus en plus nombreux à pointer du doigt les effets pervers de ce « nouveau marché très lucratif de la culpabilité ». L’auteure du blog Shivamama, elle, l’a compris assez tôt. En 2017, cette mère de trois enfants sonnait l’alerte via un post intitulé « Le jour où la parentalité m’a gonflée ». Une charge contre tous ces ayatollahs de l’éducation positive. « Dans votre monde, tout n’est que perfection et facilité. Tout n’est que noir ou blanc, écrivait-elle. Ici, on essaie. On rate. On recommence. On doute. On avoue nos fautes à nos enfants. On leur explique que même les adultes des fois, ben… ils n’y arrivent pas. Mais qu’on y travaille. On leur dit aussi et surtout qu’on les aime. Comme ils sont. Dans toutes leurs nuances de gris. » Immédiatement, les commentaires de lecteurs, qui déclaraient se retrouver dans ces propos, ont afflué. Des parents « imparfaits », soulagés de se sentir moins seuls. (1) Les Arènes, 2020. (2) Interéditions, 2020. (3) Erès, 2019.
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