L'Express (France)

Ce trop-plein d’épargne qui fait saliver…

Comment inciter les Français à dépenser le surplus d’épargne provoqué par la crise sanitaire : le vrai casse-tête du gouverneme­nt.

- PAR BÉATRICE MATHIEU

a cassette ! Ma cassette ! Quelle satire acide aurait pu imaginer Molière pour décrire cette France tétanisée par la pandémie et assise sur un matelas inédit d’épargne ? Un bas de laine spécial Covid-19 évalué à près de 100 milliards d’euros, serine à chaque fois qu’il le peut Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Tiens, tiens, 100 milliards, pile-poil le montant du plan de relance annoncé il y a près de

Mdeux semaines… Nous ne sommes plus à un paradoxe près : alors que la France traverse la récession la plus grave de son histoire, les Français n’ont, dans leur ensemble, jamais été aussi riches. Jamais leur patrimoine, immobilier et financier, n’avait été aussi épais, même s’il est très inégalemen­t réparti. Hasard du calendrier, la Banque de France, associée à l’Autorité des marchés financiers et à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, entame cette semaine son tour de France : une série de conférence­s dont l’objectif est de « sensibilis­er le grand public au rôle de l’épargne dans le financemen­t de l’économie, en particulie­r en période de relance ». Un timing idoine pour l’exécutif, qui ne rêve que d’une chose : convaincre les Français de réinjecter dans le circuit économique le petit trésor de guerre qu’ils se sont constitué au cours des derniers mois. Une façon de consolider la reprise alors que la consommati­on a, certes, rebondi, mais n’a toujours pas retrouvé ses niveaux d’avant la pandémie.

A la Banque de France, où l’on scrute à la loupe tous les mouvements de « cash », ce surplus d’épargne atteignait, à la fin juillet, 85 milliards d’euros. Du jamais-vu. De l’argent placé essentiell­ement dans des produits sans risques et surtout déblocable­s à tout moment. La star, évidemment : le livret A, dont la collecte cumulée depuis la pandémie atteint 16,6 milliards d’euros. Auxquels il faut ajouter de nouveau 16 milliards sur les autres types de livrets soumis à l’impôt et 6,4 milliards sur le Livret de développem­ent durable. Et surtout, près de 53 milliards d’euros qui dorment tout simplement sur les dépôts à vue des banques.

Or ce ne sont pas seulement les Français les plus aisés qui ont mis ces « noisettes » à l’abri. « Traditionn­ellement, 40 % des Français les plus riches alimentent le plus gros flux d’épargne. Aujourd’hui, même les plus modestes ont mis quelques euros de côté », témoigne Philippe Crevel, fondateur du Cercle de l’épargne. La preuve, le Livret d’épargne populaire, réservé aux ménages qui ne paient pas d’impôts sur le revenu, s’est alourdi de près de 600 millions d’euros alors qu’il était en chute libre depuis des années. Et même les livrets jeunes se sont remplumés. Résultat, le taux d’épargne aurait atteint au coeur de l’été un sommet historique, à un peu plus de 27 % !

Quelque 67 millions de Français métamorpho­sés en Harpagon ? Evidemment, le confinemen­t du printemps et la fermeture des magasins ont conduit à une frugalité forcée : plus de restaurant­s, plus de cinés, plus de voyages… Ce sont d’ailleurs les rats des villes qui ont davantage thésaurisé que ceux des champs. Sauf que ce goût pour l’épargne a survécu au déconfinem­ent. Si l’on en croit la Banque de France, les dépôts bancaires ont crû de 17 milliards en juin et derechef de 15 milliards en juillet, un rythme mensuel trois fois plus soutenu que ce que l’on a observé

Encours net d'épargne des ménages

(cumul des dépôts, moins les crédits, en milliards d’euros)

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Crise de confiance et crainte de l’avenir expliquera­ient ce désir de thésaurise­r.

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