Ces chers voisins à nos portes...
Cernée par des régimes politiques hostiles, l’UE n’a d’autre solution que la puissance.
rendre le temps d’observer une carte est un exercice salutaire, bien que légèrement anxiogène. Celle de l’Union européenne, par exemple. Un petit tour d’horizon des pays qui nous avoisinent et, surtout, sur ceux qui les dirigent donne une vision instructive du club de gentlemans installés juste à nos portes. S’ils entraient dans une bande dessinée, ils pourraient aisément prendre le visage des frères Dalton, avec leurs mentons ambitieux et leurs costumes de bagnards en cavale. A l’est, le plus petit, le plus rusé, le plus brutal : Vladimir Poutine, alias « Joe ». L’ex-lieutenant-colonel du KGB, qui ne cache pas sa nostalgie de l’URSS et continue de mener la guerre à l’Ukraine au mépris du droit international, vient de confirmer avec l’empoisonnement au novitchok de son principal opposant, Alexeï Navalny, son tropisme pour l’assassinat politique – commis sinon sous ses ordres directs, du moins par un Etat qu’il préside, dirige et tient en mains totalement.
PAverell en Biélorussie
Toujours à l’est mais un peu plus à l’ouest, le plus grand et le moins subtil : Alexandre Loukachenko, légitimement surnommé « le dernier dictateur du continent européen ». Confronté au courage admirable des opposants qui lui tiennent tête – notamment de femmes comme Svetlana Tikhanovskaïa, forcée à l’exil après son score aux élections, et Maria Kolesnikova, déchirant son passeport pour empêcher sa propre expulsion –, le président « Averell » de la Biélorussie s’accroche à son trône en envoyant sur eux ses troupes armées, tandis que Poutine menace de dépêcher ses milices. Au sud, un troisième Dalton se prend pour un grand vizir, en proie aux délices d’une nostalgie néo-ottomane : Recep Tayyip Erdogan, notre allié encombrant de l’Otan qui règle ses différends frontaliers à la canonnière contre la Grèce – camarade commune dans l’Otan mais aussi amie dans l’UE – et qui n’a rien à envier à « Vladimir-Joe » quant à l’emprisonnement des journalistes et opposants.
Orban, agent infiltré
Au milieu de ce monde de brutes et de voyous, il y a nous. La douce Union européenne. Laquelle ne peut guère compter davantage sur ses voisins plus lointains que sur son « étranger proche », selon l’expression soviétique. Abandonnée par les Etats-Unis de Trump, qui ne la considèrent plus comme une alliée, défiée par la Chine, qui veut y étendre son empire et la désunir par crainte de sa démocratie, détestée par la Russie, qui en a fait un ennemi assumé et soutient tous les national-populistes par cousinage idéologique – contre cet Occident « décadent » aux moeurs laxistes qui prône les libertés publiques et politiques, renie les valeurs de la chrétienté et menace la suprématie de l’homme blanc. Un quatrième Dalton agit, lui, en agent infiltré : Viktor Orban. Le Premier ministre hongrois dont la « démocratie illibérale » se réclame précisément de Poutine et d’Erdogan, ses maîtres en « démocrature », quand les ultraconservateurs au pouvoir en Pologne jouent avec lui les alliés de circonstance contre le libertarisme européen – tout en haïssant bien plus encore la Russie de Poutine. Last but not least, un nouvel élément vient de s’incruster dans cette grande fratrie des voisins hostiles, en agent exfiltré, cette fois : Boris Johnson. Pris en flagrant délit de mensonges pendant la campagne pour le Brexit, puis en flagrant délit d’incompétence et d’incohérence dans la crise du Covid et l’impossible mise en oeuvre de ses promesses, le Premier ministre britannique s’assume désormais en traître et voyou, par un projet de loi qui prévoit de bafouer le droit international en violant l’accord de sortie de l’Union européenne qu’il avait lui-même signé, après trois années de négociations épuisantes. Nos relations futures promettent d’être chouettes.
Un îlot de libertés
L’Union européenne est cernée. Un peu seule à défendre sa démocratie libérale et parlementaire, son Etat de droit, son Etat social, sa tolérance à l’égard des minorités, ses souverainetés nationales, son respect de ce qui reste du multilatéralisme
(la réglementation du droit international), au moment où la Chine et les Etats-Unis, les deux premières économies de la planète, s’installent dans un conflit durable et multiforme – idéologique, politique, économique, technologique. L’Union européenne, qui reste l’ensemble de pays le moins inégalitaire du monde et le marché le plus exigeant du monde en matière de normes environnementales ou sanitaires, est un îlot de libertés dans un océan de régimes sans foi ni loi. Prendre la mesure de cette exception, rien que ça, ce serait déjà pas mal. Objectif suivant : l’Europe puissance.
WMarion Van Renterghem, grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres, auteure d’une biographie d’Angela Merkel et d’un essai autobiographique sur l’Europe.