L’élan brisé de Narendra Modi
La crise sanitaire et l’effondrement de l’économie annihilent les espoirs du géant indien de devenir une superpuissance.
Des centaines de millions de travailleurs journaliers ont perdu leur emploi et leur revenu sans pouvoir rentrer dans leur région d’origine.
Rahul Gandhi, principale figure de l’opposition, a fustigé le 9 septembre une nouvelle « offensive contre l’économie informelle », après le retrait brutal de presque toute la monnaie en circulation en novembre 2016 (une initiative censée mettre fin à la corruption). « Les pauvres mangent avec ce qu’ils gagnent chaque jour et, en annonçant un verrouillage du pays sans préavis, le Premier ministre a brisé l’épine dorsale du secteur non organisé », a ajouté l’héritier de la famille NehruGandhi. En Inde, l’économie informelle assure environ 90 % des emplois. D’un
Le PIB a chuté de près de 24 % au deuxième trimestre, du jamais-vu
coup, 300 à 400 millions de gens, soit la moitié de la population active, se sont retrouvés démunis. « Marchands, vendeurs de thé, cantines de rue, commerce de détail, services de proximité… tout a été dévasté », constate Deepak Nayyar, professeur d’économie à l’université Nehru de Delhi.
Le ralentissement économique avait cependant commencé avant l’épidémie, la croissance étant passée de 8 % en 2016 à 3,1% au premier trimestre 2020, plombée par la chute de la consommation et de l’investissement. La crise sanitaire a été le coup de grâce. « Le modèle indien était déjà en péril. Modi a sacrifié l’économie sur l’autel de son idéologie réactionnaire : il est obnubilé par sa politique nationaliste hindoue et ne cultive pas les compétences pour redresser le pays, estime Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Quand le Covid-19 est arrivé, il s’est révélé incapable de gérer la situation alors même que l’Inde, pays d’innovation et d’intelligence collective, aurait eu de quoi inventer un modèle de réponse original à la pandémie. »
Si l’agriculture s’en sort, tous les autres secteurs sont durement frappés, à l’image du tourisme. A Hampi, ancienne capitale
Les quatre « héros » de la lutte contre le coronavirus sont escortés par des motards de la garde nationale jusqu’au très stalinien Palais du peuple, sur le côté ouest de la place Tiananmen. A l’intérieur, sous l’immense emblème de la faucille et du marteau, le président Xi Jinping leur passe une lourde médaille autour du cou, sous les applaudissements des milliers d’invités. Figure rassurante encensée par la presse officielle, l’épidémiologiste Zhong Nanshan, 83 ans, vétéran de la lutte contre le Sras, reçoit la plus haute distinction du pays. Parmi les trois autres scientifiques récompensés, Chen Wei, major générale de l’armée, s’est fait une réputation en s’injectant elle-même en mars le vaccin qu’elle est chargée de mettre au point – il est en phase de test.
Alors que le Covid-19 continue à faire des ravages dans le monde, la propagande chinoise n’en finit pas de célébrer la « victoire totale » du régime communiste contre l’épidémie apparue sur son sol, à Wuhan. « Nous sommes désormais aux avant-postes mondiaux en matière de reprise économique et de lutte contre le Covid-19 », s’est félicité d’un empire hindou classée au patrimoine mondial par l’Unesco, le désespoir domine. Siraj, qui exploitait l’Uramma, un hôtel de charme prisé des étrangers, n’a plus une roupie de côté pour nourrir sa femme et sa fille, et vient de lancer un appel aux dons afin de monter une petite épicerie.
D’après Amitabh Kant, président de l’agence NITI Aayog, qui conseille le gouvernement sur les questions économiques, l’Inde s’en sortira « en se dotant d’infrastructures aux standards mondiaux et d’un environnement commercial attractif ». Certains comptent sur la jeunesse (les deux tiers de la population ont moins de 35 ans) et sur les petits génies de la hightech pour voir le pays finir par relever la tête. Mais l’optimisme s’est évanoui.
Sceptiques quant à l’arrivée prochaine d’un vaccin contre le Covid-19, les autorités, totalement désemparées, fondent leurs espoirs sur l’atteinte d’une immunité collective. Fin août, des enquêtes ont fait apparaître que près de 30 % de la population de New Delhi avait été infectée… Certains experts estiment que dans les grandes métropoles, 75 % des gens auront développé des anticorps d’ici au début de l’année 2021. En attendant, la population est en train de perdre sur tous les tableaux.
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arviz Saghaee regarde avec nostalgie les tapis colorés qui s’entassent sur l’étal d’une petite échoppe. Il n’y a pas si longtemps, lui aussi en faisait commerce, avant de faire faillite, comme tant d’autres. Avec le retour et l’amplification des sanctions américaines en 2018, le nombre de tisseurs a fortement diminué à Ardabil, ville du Nord-Ouest iranien réputée pour sa production de tapis persans. Certains agents chimiques nécessaires à leur fabrication ont été bannis, et les prix ont grimpé de manière exponentielle. « J’ai dû vendre beaucoup plus cher. Du coup j’ai perdu mes clients, raconte Parviz. Ça ne peut plus durer. Heureusement, on changera bientôt de président – inchallah. »
Si, en 2016, les habitants d’Ardabil, conquis par Hassan Rohani, avaient voté à 58,5 % pour les réformateurs, les élections législatives de février dernier ont donné la victoire au camp conservateur. Les Iraniens sont déçus. L’accord sur le nucléaire de 2015 laissait espérer une prospérité nouvelle, mais les tensions croissantes avec les EtatsUnis – et l’incapacité du président Rohani à empêcher la reprise des sanctions – ont affaibli l’industrie textile, l’agriculture et le tourisme. Shahin Safaee a récemment perdu son emploi dans un atelier de confection. Dans la rue, ce diplômé en comptabilité gagne sa vie en achetant et en revendant des dollars. Comme ses amis, ce couturier de 22 ans avait voté pour Rohani, rêvant
Pd’une ouverture de l’Iran sur le monde. « A l’époque, on se disait que notre économie irait dans le mur, et que nous serions au bord de la guerre si le pays passait aux mains des conservateurs. Mais c’est exactement ce qui s’est passé avec Rohani ! »
De fait, le pays s’est appauvri. Un récent rapport du Parlement révèle que de 40 à 55 % de la population vit avec moins de 7 euros par mois. Cet été, la valeur du rial a chuté de moitié. Le taux d’inflation moyen reste au-dessus de 25 % depuis l’an dernier, tandis que le chômage frôle les 40 %. En réponse à cette crise, l’organisation paramilitaire des Gardiens de la révolution (pasdaran) a créé le 14 avril dernier le