Plan de relance : le retour des vieilles promesses
Le gouvernement alloue près de 8 milliards d’euros pour soutenir l’économie numérique et réactive d’anciens objectifs prioritaires. Jamais tenus jusqu’ici.
La volonté politique d’airain s’incarne dans un chiffre symbolique : 100 milliards d’euros. De quoi redonner du souffle à l’économie française. « C’est, en proportion de la richesse nationale, le plan de relance le plus massif annoncé à ce jour parmi les grands pays européens. Créer de l’activité tout de suite, préparer l’avenir », s’est ainsi félicité le Premier ministre. Pour Jean Castex, ce futur passe par la transition écologique, mais aussi par le numérique. Avec une enveloppe de près de 8 milliards d’euros, le secteur est plutôt bien doté et ce, afin de financer plusieurs axes de développement : le très haut débit pour tous en 2025, le soutien aux start-up, le passage aux démarches administratives dématérialisées, la souveraineté technologique ou encore la numérisation des petites et moyennes entreprises.
Pourtant, à y regarder de plus près, ces objectifs prioritaires du plan de relance gouvernemental ont un air de déjà-vu. Et pour cause. Ces nobles ambitions figuraient déjà en 2011 dans le programme France numérique 2012-2020 d’Eric Besson, alors ministre chargé de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique. A l’époque, Nicolas Sarkozy est président de la République, le réseau mobile de quatrième génération, la 4G, n’a pas été lancé, et on ne parle pas encore de licornes, ces start-up valorisées plus d’un milliard d’euros. Mais la volonté de faire émerger des champions nationaux du numérique figure déjà parmi les 57 résolutions prioritaires du moment. Et les questions de souveraineté sont également mises à l’honneur.
Neuf ans plus tard, pratiquement aucun des objectifs visés n’a été atteint. Un exemple ? La fibre optique, censée couvrir 70 % de la population dès 2020, dessert à peine plus de 50 % des Français. Et dans le classement européen des pays les mieux raccordés à ce réseau Internet fixe, la France pointe à la 16e position en nombre d’abonnés, selon le FTTH Council Europe. L’Hexagone se situe derrière la Slovénie et la Slovaquie, des pays dont la superficie est, certes, bien moindre à couvrir, mais tout de même… Cédric O, secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, préfère souligner la vigueur de la dynamique créée par les opérateurs de télécommunications, la plus forte du Vieux Continent. Et il estime que le nouvel effort financier de 240 millions d’euros destiné à abonder le plan Très haut débit de 2013 permettra de couvrir tout le territoire d’ici à 2025.
Si ce chantier accuse du retard, un autre n’a pour sa part jamais réussi à démarrer et a fait son retour dans le plan de relance. Déjà identifiée comme un élément de souveraineté en 2011, l’informatique en nuage (le cloud) devait offrir la possibilité aux entreprises et aux administrations de stocker leurs données à distance ou de travailler sur des logiciels hébergés sur des serveurs pour réaliser des économies. Afin d’y parvenir, avait alors été décidé de créer deux champions français, Numergy et Cloudwatt, financés à hauteur de 150 millions d’euros par des fonds publics, en collaboration avec de grands groupes, SFR et Bull pour le premier, et Thales et Orange pour le second.
Près d’une décennie plus tard, le duo a disparu, faute d’avoir su se faire une place sur un marché pourtant en forte croissance. Il reste tout de même le lillois OVH Cloud, rare société tricolore capable
de rivaliser avec Google, Amazon, IBM ou Microsoft dans ce domaine.
Pourtant, le sujet revient aujourd’hui sur le devant de la scène pour moderniser l’Etat et sécuriser son informatique. « On ne peut plus rattraper les groupes américains en raison des milliards de dollars déjà investis par ces mastodontes, estime le vice-président du Conseil national du numérique (CNNum), Gilles Babinet. La messe est dite et il faudrait davantage se concentrer sur le prochain cycle d’innovation. »
Le cloud reste une question ultra-sensibleet suscite des débats houleux en raison de choix discutables. La France a confié le soin à Microsoft d’héberger les données de santé de ses citoyens au sein du Health Data Hub, pour aider la recherche, qui plus est en période d’épidémie de Covid 19. Cette décision a suscité l’indignation, notamment d’Edward Snowden, le lanceur d’alerte américain réfugié à Moscou. « Il semble que le gouvernement français capitule face au cartel du cloud et fournira les informations médicales du pays directement à Microsoft. Pourquoi ? C’est juste plus simple », a réagi sur Twitter, au mois de mai, l’ancien consultant du service américain de renseignement, la National Security Agency.
Alors qu’Emmanuel Macron martèle l’impérieuse nécessité pour le pays de retrouver sa souveraineté, cette décision a de quoi surprendre. Devant la levée de boucliers, l’Etat a voulu calmer le jeu en annonçant la mise en place d’un nouvel appel d’offres à la fin de cette année. Pas de quoi rassurer Tariq Krim. L’entrepreneur, figure historique d’Internet en France, craint un autre effet lié à ce plan de relance et à la domination des Américains dans le cloud. Pour lui, les 3,7 milliards d’euros destinés à financer les jeunes pousses de la French Tech risquent de profiter indirectement à ces acteurs étrangers. « Le gouvernement prône une semi-souveraineté numérique en poussant à la création de technologie dont les données seront hébergées sur les serveurs de Google, de Microsoft ou d’Amazon, estime-t-il. Il est dommage que cet argent aille dans les poches des Américains plutôt que chez les éditeurs de logiciels et hébergeurs français. »
Et ce n’est pas tout. Pour le quadragénaire, continuer à se reposer sur ces infrastructures quand Washington peut utiliser cette dépendance pour exercer un pouvoir en dehors de ses frontières devient très risqué. « On voit bien qu’une balkanisation d’Internet est à l’oeuvre entre, d’un côté, l’Inde qui bannit des applications mobiles chinoises de son territoire et, de l’autre, les Etats-Unis qui souhaitent imposer la vente de TikTok. Cette guerre froide technologique avec la Chine n’est pas prise suffisamment au sérieux chez nous », ajoute-t-il.
Un constat partagé par de nombreux spécialiste. Benoît Thieulin le premier. L’ex- président du CNNum se veut toutefois plus optimiste car, pour lui, des pans entiers de l’économie ne dépendent pas encore des Gafam, que ce soit dans la sécurité, l’éducation, la santé, les armées… Il reste donc des marges de manoeuvre. « Certes, les plans passent et les objectifs demeurent, note-t-il. Mais, cette fois, beaucoup d’argent va être mis sur la table et j’attends de voir dans le détail comment les investissements vont être fléchés.
Pour cela, l’Etat doit déterminer ses besoins et lancer des appels d’offres auprès de ses groupes industriels et de ses start-up. » Outre-Atlantique, le Pentagone a bien signé des contrats colossaux avec Microsoft ou Palantir, et le département de la Justice s’est équipé d’outils d’intelligence artificielle auprès de sociétés américaines. « Dans six mois, nous pourrons déjà tirer un premier bilan de l’action publique », avance Benoît Thieulin. Et voir si l’histoire se répète. ✷