«Les familles sont des proies faciles pour les charlatans»
Exclusif. Dans un nouveau livre d’enquête, Olivia Cattan, présidente de SOS autisme France, dénonce les pseudo-thérapies qui prolifèrent, ainsi que la passivité des pouvoirs publics.
Trouble du neurodéveloppement aux causes multifactorielles et toujours mystérieuses, l’autisme toucherait environ 700 000 personnes en France. Et, parmi elles, 100 000 ont moins de 20 ans. Du fait de l’impasse thérapeutique comme de l’actuel engouement pour les médecines douces, les familles qui élèvent un enfant touché se tournent de plus en plus vers des approches parallèles. Dans Le Livre noir de l’autisme (Cherche midi), Olivia Cattan a enquêté sur ces marchands d’espoir qui, en échange de sommes juteuses, promettent à des parents désespérés une amélioration, voire une guérison, sans aucun fondement scientifique. Présidente de SOS autisme France, cette mère d’un garçon autiste passe au crible antibiothérapies de longue durée, régimes sans gluten, chélation ou neurofeedback, méthodes promues par des « experts » parfois dépourvus de tout diplôme, mais aussi par un Prix Nobel sulfureux, le Pr Montagnier. A travers ce livre implacable, Olivia Cattan dénonce non seulement les charlatans, mais aussi l’omerta dans le milieu de l’autisme, la complicité des médias et la passivité des pouvoirs publics face à des « essais sauvages » impliquant des mineurs. Un combat qui, enfin, commence à être entendu : l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient d’annoncer avoir saisi la Haute autorité de santé, les ordres des pharmaciens et des médecins ainsi que le procureur de la République, pour tenter de mettre un terme à ces dérives. Entretien.
Longtemps, les psychanalystes ont rendu responsable les mères d’enfants autistes, refusant de voir qu’il s’agissait d’un trouble du neurodéveloppement dont les causes sont multifactorielles. Mais, aujourd’hui, vous dénoncez de nouveaux charlatans gravitant autour de cette maladie. Qui sont-ils ? Olivia Cattan La vieille garde psychanalytique, qui n’a pas bougé sur ses idées rétrogrades, est toujours là. Tout comme les psychiatres, avec leur camisole chimique – anxiolytiques, neuroleptiques. Ponctuellement, en cas de grosse crise de violence, on est obligé d’y recourir pour éviter que l’enfant ne se mette en danger. Ces médicaments restent de simples béquilles qui n’aident pas à travailler sur ses peurs et ses angoisses profondes. Mais, ces dernières années, tout un business de pseudo-thérapeutes et de coachs est apparu, qui prend beaucoup d’argent aux familles et fait parfois courir un péril aux enfants. Hormis quelques experts, il n’y a pas vraiment de spécialistes de l’autisme en France. Donc les familles sont plus ou moins livrées à elles-mêmes, avec toujours l’espoir de nouveaux traitements, et surtout des comorbidités parfois lourdes à gérer : TOC, crises de violence, troubles du sommeil, etc. Et c’est là qu’entrent en scène de véritables charlatans, qui vont promettre une amélioration, voire une guérison. La plupart des parents sont des victimes, même si certains sont conscients de ce qu’ils font. Moi aussi, j’ai essayé des thérapies qui n’ont rien apporté à mon fils, comme l’hypnose…
Vous racontez avoir consulté un médecin qui a recommandé pour votre fils le régime sans gluten et des tests dans des laboratoires à l’étranger…
Je ne connaissais rien à l’autisme. Quand on m’a annoncé que mon fils Ruben, alors âgé de 4 ans, était autiste sévère, j’ai fait des recherches sur Internet et j’ai parlé à deux associations. Leurs responsables m’ont recommandé une simple généraliste, le Dr S., qui déclarait avoir soigné beaucoup d’autistes. Elle m’a conseillé un régime sans gluten, m’a prescrit tout un tas de compléments alimentaires et des tests à l’étranger pour chercher la teneur en métaux lourds de l’organisme de mon fils. Cela coûtait une fortune. Je me suis contentée de faire suivre à Ruben le régime sans gluten, mais j’ai vu que cela n’avait aucun effet. Plus tard, cette femme m’a présenté une équipe de médecins, le groupe Chronimed, cofondé par Luc Montagnier. J’étais impressionnée de rencontrer un Prix Nobel. Ils m’ont expliqué que l’autisme est probablement lié à une inflammation du microbiote. Heureusement, un parent m’a alertée. J’ai alors découvert que le Dr S. avait été radiée de l’ordre des médecins. Mais j’ignorais, à l’époque, que certains médecins de Chronimed préconisaient un traitement antibiotique à long terme…
Ce groupe Chronimed, qui s’intéresse à l’autisme comme à la maladie de Lyme, est-il toujours actif ?
Je pense qu’il représente énormément de personnes. Ils ont converti beaucoup de médecins. Autour d’eux gravitent d’autres scientifiques, plutôt de bonne foi, qui se disent que le microbiote pourrait être une piste pour traiter l’autisme. Et puis il y a dans cette galaxie des antivaccins, homéopathes, naturopathes, complotistes… Le site Egalité & réconciliation partage aussi leurs publications. Ces courants pseudoscientifiques attirent tous ceux qui ont une grande défiance envers la médecine actuelle. Et Internet renforce ce phénomène, car y circulent énormément de
fausses informations, des études bidon publiées dans des revues pseudo-médicales. Ils sont très bien organisés sur les réseaux sociaux, où les groupes de discussion fermés fleurissent autour de cette mouvance « biomed ».
Pourquoi les disciples du Pr Montagnier préconisent-ils un traitement antibiotique de longue durée ?
Selon eux, l’autisme serait une maladie organique chronique, avec des infections dues à des bactéries comme les borrélies, mais aussi des infections virales ou fongiques. Ils relient parfois cela à la maladie de Lyme. Selon eux, on peut donc guérir l’autisme avec un protocole à base d’antibiotiques. Ils détournent des médicaments de leur prescription habituelle, tel l’antibiotique Zithromax (azithromycine), qu’ils prescrivent sur plusieurs mois, alors que la durée maximale prévue est de quelques jours. Et ils allient cela à des antifongiques ou des antiparasites, parfois de la cortisone ou des médicaments contre le sida. Ce groupe a ainsi traité plusieurs milliers d’enfants avec des antibiotiques au long cours, dans ce qui ressemblait à un essai clinique sauvage. Nous avons des documents prouvant qu’un président d’association a ouvert son centre afin que ces médecins fassent ces expérimentations, et ce, sans aucune autorisation de l’ANSM.
D’autres thérapeutes peuvent aussi vous expliquer que l’autisme est dû à un choc psychologique pendant votre grossesse. Ou alors que cela peut venir des vaccins, des amalgames dentaires de la maman, des pesticides ou d’autres causes environnementales… Chez beaucoup domine l’idée que nous nous empoisonnons avec la malbouffe ou les vaccins. D’où l’idée de faire une chélation, supposée détoxifier l’organisme des métaux lourds. Or c’est très dangereux : un enfant autiste de 5 ans, l’Américain Abubakar Tariq Nadama, est mort dans le cabinet de son thérapeute. Nous avons même réalisé une caméra cachée avec un médecin qui donne aux enfants autistes de la Naltrexone, normalement administrée aux patients toxicomanes ou alcooliques, en assurant que cela fait du bien aux neurones via le transmetteur GABA !
Mais, aujourd’hui, le Pr Montagnier est totalement décrédibilisé… Montagnier a osé présenter en 2012, à l’Académie de médecine, ses essais sur la supposée piste microbienne de l’autisme. Il a aussi présenté cette étude aux conseillers santé de Xavier Bertrand, qui étaient prêts à lui allouer des crédits. Aujourd’hui, il y a encore un certain nombre de présidents d’associations sur l’autisme qui croient à ces thèses. Ils réclament la liberté d’essayer de nouveaux traitement sur leurs enfants. Même si ces pratiques me choquent, je ne juge pas les parents. Mais là où il y a un problème, c’est que des présidents d’association ou de fondation entraînent d’autres parents en leur faisant miroiter une guérison de leurs enfants. Un président d’association est convaincu que l’autisme est lié à la maladie de Lyme. Je précise que je ne suis pas, bien sûr, contre la recherche. Mais je n’irais pas tester sur mon fils quoi que ce soit ! A part pour son sommeil, mais seulement s’il y a eu un consensus scientifique et des publications internationales sérieuses.
Vous décrivez aussi tout un marché des compléments alimentaires…
L’idée, c’est que de l’autisme, maladie métabolique, on pourrait guérir grâce à des régimes et des protocoles individualisés, à l’aide de compléments alimentaires destinés à nettoyer et réparer l’organisme de l’enfant. Il y a ainsi des « nutri-détoxicologues » qui font des analyses envoyées dans des laboratoires spécifiques censés détecter des inflammations, la présence de mercure ou d’arsenic. Une maman m’a raconté qu’elle avait fait suivre son fils par une « nutrithérapeute » qui était en réalité une ancienne commerciale, mais qui donnait des conseils comme si elle était réellement un médecin. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a déclaré : « On ne naît pas autiste, on le devient », et m’a assuré que l’autisme ne concerne que les garçons, car chez les filles, ce serait plus psychologique que métabolique. C’est vraiment du grand n’importe quoi ! Mais tous ces marchands d’espoir se font payer très cher, 100 euros une consultation, et ils poussent à en suivre six ou sept.
Chez beaucoup domine l’idée que nous nous empoisonnons avec les vaccins
Y a-t-il d’autres thérapies alternatives ? Des thérapeutes pratiquent aujourd’hui le neurofeedback, mais aucune étude n’a démontré son efficacité sur les enfants autistes. On vous pose des électrodes sur le crâne, et on vous explique que les ondes électriques vont modifier le comportement de votre enfant. Cela peut aller jusqu’à 200 euros la séance. La zoothérapie est aussi en plein essor. J’adore les chiens et les chevaux, mais ils ne guérissent en aucun cas de l’autisme, comme le promettent pourtant certains. Les parents ont bien sûr le droit d’essayer ces différentes méthodes. Mais si le thérapeute vous parle de guérison, alors il faut se sauver ! J’ai essayé de lister dans ce livre tout ce qui est proposé aux familles mais, dès que je croyais en avoir fini, je découvrais une nouvelle méthode, telle l’auriculothérapie, qui consiste à stimuler des zones de l’oreille avec des aiguilles. Pis, vous avez des méthodes à risque de dérive sectaire, comme l’Access Bar, qui a fait son apparition en France il y a cinq ans. Le « thérapeute » pose ses doigts pendant une heure sur 32 points situés sur votre crâne, qui correspondraient chacun à un domaine précis de la vie. D’autres affirment que les autistes ont des compétences paranormales. C’est complètement délirant. Mais, quand vous êtes des parents désespérés face à des enfants parfois violents et que quelqu’un vous assure qu’avec l’hypnose tout cela disparaîtra, il est difficile de ne pas se laisser tenter. Car la seule alternative, ce sont les neuroleptiques et les anxiolytiques prescrits par les psychiatres. Il y a ainsi une confluence entre le désespoir des familles et des charlatans qui guettent leur proie. Mais ce que je dénonce sur l’autisme est valable pour le cancer, la maladie de Lyme ou bien d’autres pathologies.
Vous déplorez le manque d’action des pouvoirs publics. Pourquoi ?
L’ordre des médecins soutient notre combat, et il a fait des enquêtes sur certains praticiens. L’ANSM a lancé une procédure judiciaire contre ces pratiques. Ils sont formidables. La Miviludes [Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires] était aussi derrière nous, et connaissait déjà bien ces dérives. Mais cette structure a été rattachée au ministère de l’Intérieur, et elle dispose de moins en moins de moyens. Du côté des politiques, c’est le silence total. J’ai pourtant écrit et téléphoné à plusieurs reprises à l’ancienne ministre de la Santé, à Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées. Je suis allée voir Claire Compagnon, déléguée interministérielle en charge de l’autisme, ou Adrien Taquet, qui s’occupe du droit des enfants. Mais rien. Utiliser des enfants autistes comme cobayes est extrêmement grave et choquant. C’est justement parce que les familles d’enfants autistes sont fragiles qu’il faut les avertir et les protéger contre toutes ces dérives. Il y a quand même eu des morts. Je ne comprends pas comment les pouvoirs publics peuvent laisser faire cela. Aux Etats-Unis, ils ont fait le ménage, radiant en masse des médecins et fermant des associations. Mais il y a aussi un aspect politique. Non seulement nos responsables ne veulent pas froisser certains parents, mais toute action ternirait le milieu associatif. De nombreuses personnes sont mouillées jusqu’au cou. C’est une vraie omerta. Quand vous dénoncez ces pratiques, des parents se sentent accusés. Ce n’est absolument pas notre propos. Nous voulons justement que les parents ne tombent pas dans ces pièges et ne dépensent pas des sommes folles.
Vous reprochez à Sophie Cluzel d’avoir évoqué une « progression importante et anormale de cas d’autisme »…
Ces propos alarmistes rappellent ceux du Pr Montagnier, qui avait évoqué une « véritable épidémie » d’autisme. Aujourd’hui, on parle de 700 000 autistes en France. Mais, en réalité, personne n’a de vrais chiffres, il s’agit simplement d’estimations. L’augmentation du nombre de cas est-elle liée à de meilleurs diagnostics ? Si les pesticides ou les amalgames dentaires sont en cause, il faut en tout cas le prouver scientifiquement, et arrêter de dire n’importe quoi ! Aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer que la prévalence augmente, comme le rappelle Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS. En plus de cela, l’autisme est à la mode. D’autres responsables associatifs ou journalistes évoquent une maladie, un « fléau ». Or, un fléau, ça signifie qu’il faudrait l’éradiquer. Faisons attention à ces dérives sémantiques.
Les médias sont-ils eux aussi responsables ? Vous rappelez que, en 2018, un numéro d’Envoyé avait évoqué « la piste des écrans ».
J’admire Elise Lucet. Mais mettre en lumière une généraliste, le Dr Anne-Lise Ducanda, qui explique que les écrans sont responsables de l’autisme, ce n’est pas sérieux, et c’est très décevant. L’année dernière, Paris Match a aussi publié un dossier hallucinant assurant que le microbiote était la clef de l’autisme, et qu’il n’y aurait pas d’autisme en Afrique car ils mangeraient mieux et qu’on ne trouverait pas de pesticides là-bas. Femme actuelle a mis à l’honneur Nathalie Champoux, cette mère canadienne qui assure que, grâce à un régime et à une détox, elle a « vaincu l’autisme » de ses deux enfants. Ces journalistes transmettent la parole brute de familles persuadées d’avoir guéri leur enfant, sans contrepoint scientifique.
Quand vous dénoncez
des parents
se sentent accusés
Vous semblez prôner l’acceptation… Je pense que l’autisme est un syndrome et une différence. Peut-être qu’on saura un jour qu’il est lié à la génétique, ou à d’autres facteurs. Personnellement, n’étant pas scientifique, je ne sais pas, et j’ai accepté l’autisme de mon fils. Je vois ses compétences. Il est hypermnésique, il a une mémoire infinie. C’est une richesse, même si je vis très mal ses crises. J’essaie de gérer cela avec des psychologues, en testant différentes méthodes. Mon fils est comme il est. Je ne veux pas le changer. J’aimerais juste diminuer ses TOC, qu’il dorme mieux. Aux parents d’enfant autiste, même sévère, je dis que ce n’est pas parce que nos enfants portent un handicap qu’il ne faut pas respecter leurs droits et leur intégrité. Il faut aider tous ces jeunes avec des médecins spécialistes, des psychologues compétents, et non des charlatans qui vous vendent des remèdes miracles.
WLE LIVRE NOIR
DE L’AUTISME