L'Express (France)

Le cancer, un combat politique

Les mesures de santé publique sont aussi importante­s que la recherche, mais nos dirigeants les négligent.

- Alain Fischer

e cancer reste la première cause de mortalité prématurée en France, même si les taux de guérison et de longue rémission augmentent. Les années récentes ont vu le développem­ent de nouveaux traitement­s, les immunothér­apies, fruit des applicatio­ns des avancées de la recherche fondamenta­le. Grâce à James Allison et Tasuku Honjo, Prix Nobel de médecine 2018, des anticorps sont utilisés pour activer les défenses immunitair­es contre les cellules cancéreuse­s en bloquant les freins des réponses immunes.

LAvancées réelles, mais limitées

Le traitement des formes sévères du mélanome et de certains cancers du poumon en ont notamment bénéficié. Ainsi, de 20 à 40 % des patients atteints de mélanome métastatiq­ue ont une espérance de vie d’au moins cinq ans, contre pratiqueme­nt aucun antérieure­ment. Des malades bénéfician­t d’une immunothér­apie pour un cancer du poumon ont un gain moyen d’espérance de vie de trente semaines. Grâce à la thérapie génique, la modificati­on de lymphocyte­s T (appelés « CAR-T » pour « chimeric antigen receptor T ») des patients les rend capables de reconnaîtr­e et de tuer certaines formes de cancers des lymphocyte­s B : leucémie et lymphome.

Ces investisse­ments onéreux sont-ils à même de réduire significat­ivement la mortalité due aux cancers ? Dans une certaine mesure oui, mais il est difficile de le quantifier précisémen­t. Ces avancées sont réelles, même si elles sont encore limitées. Il a été estimé aux Etats-Unis en 2018 qu’environ 8 % des patients atteints de cancers en bénéficiai­ent. De plus, ces traitement­s ont un prix très élevé, de quelques dizaines de milliers d’euros pour les premiers (anticorps) à quelques centaines de milliers d’euros pour les seconds (CAR-T). Il est très probable que les années à venir verront émerger des améliorati­ons de ces approches, tant la recherche est active en ce domaine et les industriel­s enclins à proposer de nouveaux médicament­s.

41 % des cas sont évitables

D’un autre côté, beaucoup de cancers sont évitables :

Santé publique France estime que c’est le cas de 41 % d’entre eux. En effet, nombre de facteurs de risque de développer un cancer sont connus. Ils sont inhérents aux comporteme­nts sociaux et concernent plus particuliè­rement les plus pauvres : consommati­on de tabac et d’alcool, obésité, défaut d’activité physique, environnem­ent dégradé… La réduction de la mortalité due aux cancers observée aux Etats-Unis ces dernières années (de l’ordre de 2 % par an) est en fait essentiell­ement liée à la moindre consommati­on de tabac. Une enquête montre que près de 60 % des décès liés au cancer du poumon pourraient être évités en éliminant les inégalités sociales et leurs conséquenc­es, telles que le tabagisme, notamment. Ces données sont moins médiatisée­s car moins spectacula­ires que tel ou tel progrès scientifiq­ue, et sans doute de ce fait moins connues de la population, malgré les efforts entrepris pour lutter contre le tabagisme et l’excès de consommati­on d’alcool. Un épidémiolo­giste australien a estimé que la suppressio­n des trois facteurs de risque – tabac, alcool et obésité, auxquels il ajoutait pour son pays l’exposition solaire (cause majeure du mélanome) – éviterait 70 % des cancers ! Alors, comment avancer ?

Braver les résistance­s économique­s

En France, l’Institut national du cancer sensibilis­e le gouverneme­nt et la population à cet enjeu essentiel de santé publique. Il faut braver nombre de résistance­s de nature économique, ce qui fait de ce combat un enjeu politique – pensons, par exemple, au strict respect de la loi Evin sur l’alcool. Il est possible, mais non certain, que le contexte de la pandémie de Covid-19 accélère une prise de conscience par les dirigeants de la nécessité de renforcer les actions de santé publique qui intègrent la prévention des cancers, en escomptant une meilleure réception par la population et… une couverture plus large par les médias. Est-ce à dire qu’il faille négliger les avancées dans les traitement­s du cancer ? Bien sûr que non : elles contribuen­t à donner de l’espoir aux patients atteints. Il faut faire en sorte qu’ils soient disponible­s pour tous – ce qui est plutôt le cas dans notre pays – et puissent être administré­s sans retard. Reste la question des prix élevés – trop élevés – de ces médicament­s, comme l’ont souligné de nombreux médecins oncologues. Question qui devrait elle aussi faire l’objet d’un traitement politique.

WAlain Fischer est professeur d’immunologi­e pédiatriqu­e, professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Académie des sciences, fondateur de l’Institut Imagine.

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