« Le Débat », clap de fin
Avec l’arrêt de la célèbre revue disparaît un formidable laboratoire d’idées, fleuron d’un demi-siècle de culture.
u fond, si l’on devait placer la revue
Le Débat sur la frise de notre histoire culturelle pour l’inscrire à une date, ce n’est pas tant la date de sa naissance que celle de sa mort qu’il faudrait graver. Après tout, quand une nouvelle revue apparaît, elle n’est riche que d’annonces, de projets, de promesses, et on ignore ce qu’on y gagnera ; mais lorsqu’elle met la clef sous la porte quarante ans après l’avoir ouverte, on sait ce qu’on perd.
AL’impossibilité du dialogue
En fait, les deux phénomènes qui signent la mort du Débat ont fait leur apparition il y a près de vingt ans déjà. L’un est purement intellectuel : la publication, en 2002, du pamphlet de Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, dont les importants effets médiatiques se sont traduits par la difficulté croissante, sinon l’impossibilité, de dialoguer avec certains intellectuels dès lors qu’on les censure en les disqualifiant d’emblée, dans un bel élan d’intolérance. L’autre relève de l’anthropologie des techniques : le numérique, les réseaux sociaux, les sites ont ringardisé le principe même de la revue d’antan, celle dont on disait qu’elle était le laboratoire des idées de demain. Désormais, c’est en ligne que ça se passe, et nulle part ailleurs. On s’adapte ou on arrête, marche ou crève.
Al’été 1945, accompagné de ses amis Jean Paulhan et Le Corbusier, Jean Dubuffet (1901-1985) se rend en Suisse, pays où il a déjà séjourné à plusieurs reprises, mais qu’il arpente cette fois en prospecteur. Il y visite des hôpitaux psychiatriques et des prisons, où il se constitue un réseau d’intermédiaires qui alimenteront sa future collection.
Eugène Pittard, directeur du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), présente à Dubuffet le médecin aliéniste Charles Ladame, qui expose des productions de patients au sein de son « petit musée de la folie ». Ces oeuvres, signées Joseph Heuer, Robert Gie ou Berthe Urasco, appartiennent aujourd’hui à la Collection de l’art brut, à Lausanne, musée auquel Dubuffet a légué en 1971 ses trouvailles, rassemblées durant plus de trois décennies. C’est lors de ce séjour en terre helvète, un quart de siècle plus tôt, qu’il avait baptisé « art brut » ces créations issues de « fous » et de marginaux « indemnes de culture artistique ».
En parallèle de ses incursions dans les milieux psychiatriques, Jean Dubuffet se passionne pour les pièces extra-occidentales. Dans le repaire genevois d’Eugène Pittard, il découvre les peintres populaires africains, comme le Congolais Albert Lubaki et l’Ethiopien Bahaylu Gabra Maryam, mais, surtout,