L'Express (France)

Procktor est de retour

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Toujours est-il que, de retour à la vie civile et terrienne, Procktor devient traducteur au British Council. Ça lui donne le temps de dessiner les beautés emmagasiné­es au cours de ses traversées maritimes.

Son travail rencontre le public en 1957, quand une de ses natures mortes est exposée par la Redfern Gallery, à Londres. L’encouragem­ent est tel que le jeune prodige est accepté un an plus tard à la Slade School of Fine Art de Londres, ce qui n’est pas rien.

A partir de là, il se lâche dans les portraits de garçons, une obsession qui pourrait faire de lui un des piliers de la « culture gay » s’il n’avait pas l’intelligen­ce et le bon goût de s’en distinguer avant même qu’elle ne s’impose. Car si ses modèles sont jeunes, souvent graciles, alanguis, et équivoques, ils sont rarement nus, contrairem­ent à ce que la mémoire en fait. Ils ont surtout quelque chose de tordu, de difforme, de paralysé. C’est que, en effet, Procktor va les chercher dans les hôpitaux, les centres de postcure, de rééducatio­n. Il les choisit blessés, comme pour les rendre à la fois impropres à la consommati­on de masse, et sacrés, uniques en leur genre, afin qu’ils n’appartienn­ent qu’à lui. Procktor ne sera jamais Cocteau, encore moins Tom of Finland. Sa première grande expo personnell­e date de 1963, toujours chez Redfern. Le succès est à la fois critique, commercial et mondain. En deux coups de cuillère à pot de peinture, il est devenu « The artist of the Swinging London ».

C’est à ce moment-là qu’il rencontre David Hockney dont on ne sait pas s’il est l’amant, l’ami, le complice, le rival, l’antithèse, ou la victime fondatrice. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1966, quand Hockney tombe amoureux du jeune Peter Schlesinge­r, Procktor prend ses distances.

Il part pour New York où il tombe lui aussi amoureux fou du jeune éphèbe Gervase Griffiths, qu’il va peindre sous toutes les coutures, pendant deux ans, jusqu’à plus soif. L’expo monomaniaq­ue qui en résulte, à New York, est un bide qui marque le déclin de cette gloire pour laquelle l’Irlandais n’était pas fait.

Dans A Bigger Splash, le film que Jack Hazan termine en 1972, et qui retrace dans une sorte d’autofictio­n anachroniq­ue la réalisatio­n de la fameuse toile éponyme de David Hockney, on voit le peintre, au sommet de sa célébrité internatio­nale, se rendre complaisam­ment à Redfern Gallery, où se tient une exposition consacrée à Procktor. Aux grimaces d’aigreur de la star passant devant les toiles, les gravures, les aquarelles de son ancien meilleur ami répond le sourire attendri de celui qui va sombrer dans l’alcoolisme, les malheurs, et une sorte d’oubli internatio­nal qui ne l’empêcheron­t pas de réaliser des oeuvres sublimes dont certaines, fait rarissime, sont exposées jusqu’au 31 octobre prochain à la galerie Loeve&Co, au 15 de la rue des Beaux-Arts, à Paris.

Christophe Donner, écrivain.

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