L'Express (France)

Nord Stream 2, le projet qui risque de fnir noyé dans la mer Baltique

Presque terminé, le gazoduc entre la Russie et l’Allemagne est l’otage de tensions internatio­nales entre Moscou, Berlin et Washington. Il pourrait ne jamais voir le jour.

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Une cruelle ironie. Pour rallier les côtes allemandes depuis la Russie avec leur pipeline gazier, les ingénieurs du projet Nord Stream 2 avaient passé des mois à cartograph­ier les fonds marins de la mer Baltique. Il s’agissait notamment d’éviter la montagne d’explosifs éparpillée par les deux pays durant la dernière guerre mondiale.

Bien au-dessus du niveau de la mer, c’est finalement dans les ambassades que le terrain s’est avéré le plus miné pour le porteur du projet, le géant russe Gazprom, et ses partenaire­s financiers – le français Engie, les allemands Uniper et Wintershal­l, l’autrichien OMV et enfin l’anglo-néerlandai­s Shell. Otage des tensions entre Moscou, Berlin et Washington, ce projet de gazoduc à 12 milliards de dollars pourrait ne jamais voir le jour, alors qu’il est achevé à 94 % !

Lancée en avril 2018, la constructi­on de cet ouvrage long de 1 230 kilomètres est à l’arrêt depuis décembre dernier. « Il ne reste que 150 kilomètres à construire : deux tubes parallèles au sud de l’île danoise de Bornholm, et une petite partie dans le secteur allemand de Greifswald », confie un porte-parole de Nord Stream 2 AG, structure détenue à 100 % par Gazprom. Sous la menace de sanctions américaine­s, le constructe­ur sous-marin suisse Allseas, chargé de tirer les derniers kilomètres de tubes au sud de Bornholm, a hissé le drapeau blanc juste avant les fêtes, laissant les Russes avec leurs tuyaux sur les bras.

Petit frère de Nord Stream, un pipeline au tracé similaire mis en service en 2012, le nouveau gazoduc disposera d’une capacité deux fois plus importante, capable de faire transiter plus de 55 millions de mètres cubes de gaz naturel russe vers l’Union européenne chaque année. De quoi permettre au Vieux Continent de profiter d’une énergie bon marché pour faire face à la hausse de sa consommati­on et à l’épuisement des gisements gaziers norvégiens et néerlandai­s. C’est en tout cas ce que promettaie­nt les membres de Nord Stream 2 à la signature du projet, en 2015. La stratégie, soutenue par Vladimir Poutine, était bien huilée. Mais le mécanisme s’est brutalemen­t grippé ces derniers mois.

La première secousse est venue des Etats-Unis. En décembre 2019, Donald

Trump a promulgué un texte sanctionna­nt les entreprise­s apportant une assistance à la constructi­on de Nord Stream 2. Puis, en juillet dernier, le chef de la diplomatie, Mike Pompeo, a ouvert la voie à des sanctions plus dures. Officielle­ment, Washington s’inquiète de voir s’étendre l’influence de Moscou sur l’approvisio­nnement énergétiqu­e européen. En réalité, l’administra­tion américaine craint surtout de voir ses partenaire­s de l’Otan se fournir chez le voisin russe, alors que les producteur­s yankees se cherchent des débouchés en Europe pour leur gaz liquéfié.

Une extraterri­torialité du droit américain qui a le don d’agacer les Européens. Des eurodéputé­s ainsi que des sénateurs français viennent d’ailleurs officielle­ment de demander à leurs homologues américains de se mêler de leurs affaires. Mais Nord Stream 2 soulève également des critiques de ce côté-ci de l’Atlantique.

Depuis plusieurs jours, le gazoduc est en effet la cible d’attaques nourries de Berlin, prêt à mettre en balance ce projet d’infrastruc­ture s’il n’obtient pas du Kremlin des réponses dans l’affaire de l’empoisonne­ment de l’opposant russe Alexeï Navalny. « J’espère que les Russes ne nous obligeront pas à changer de position sur ce projet », a menacé Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères.

Un coup de massue pour les exploitant­s du gazoduc. Nord Stream 2 avait jusqu’ici pu compter sur le soutien de l’exécutif allemand, Angela Merkel voyant dans ce combustibl­e une énergie « passerelle » pour assurer la transition énergétiqu­e en Allemagne (le gaz naturel émet deux fois moins de CO2 que le charbon). L’intérêt était également géopolitiq­ue : « Ce gazoduc nous assurerait une plus grande sécurité dans l’approvisio­nnement. En effet, si le gaz continuait de transiter par les pays d’Europe centrale, nous serions à la fois dépendants de la Russie mais aussi des pays de transit comme l’Ukraine », estime Hubertus Bardt, directeur de l’Institut de conjonctur­e de Cologne, un think tank proche du patronat.

Voulant montrer sa fermeté vis-à-vis de Moscou, Angela Merkel se retrouve en porte-à-faux à cause des pressions américaine­s. « Nous ne devons pas nous laisser dicter nos choix d’approvisio­nnement par un pays tiers », a rappelé le conservate­ur David McAllister (CDU), député allemand au Parlement européen. Une position partagée par l’ensemble de la classe politique.

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