Marine Le Pen veut être une femme comme les autres
Toujours clivante dans l’opinion, la patronne du Rassemblement national entend mettre en avant sa féminité et sa vie de mère de famille en vue de la présidentielle.
« Je suis frappé par le décalage entre ce que Marine Le Pen semble être, parfois cassante et sèche, et ce qu’elle est au naturel : simple, décontractée, souriante, bref, normale ! » Pascal Humeau sourit. L’ex-journaliste, désormais consultant médias pour le Rassemblement national (RN), sait qu’en politique les apparences sont primordiales. Et, dans le cas de la patronne du parti d’extrême droite, il y a urgence à refaçonner une image déjà bien ancrée dans la rétine du grand public : l’élection présidentielle de 2022 a lieu dans un an et demi. Selon un sondage Ifop sorti le 24 septembre, 60 % des sondés jugent Marine Le Pen « inquiétante ». Les données la concernant sont stables, puisqu’une étude publiée par l’institut Elabe en septembre 2019 révélait que les Français voient en elle une personnalité autoritaire (78 %), arrogante (65 %) et qui inquiète (59 %).
L’état-major de la présidente du RN a donc décidé d’infléchir sa stratégie médiatique. Exit les interventions à la volée sur les chaînes d’information pour réagir en duplex à tel ou tel sujet d’actualité. La candidate à la présidentielle souhaite désormais « séquencer » ses interventions, comme elle a pu le faire en cette rentrée, où elle s’est concentrée sur les débats sécuritaires. Exit, aussi, les émissions dont elle n’est pas la principale vedette. La députée du Pas-de-Calais a ainsi rejeté l’invitation à débattre avec le Premier ministre, Jean Castex, lancée par l’équipe de l’émission de France 2 Vous avez la parole pour l’édition du 24 septembre. « C’est un techno, nous voulons qu’elle boxe avec ses équivalents, des présidentiables », explique un proche. Dans son entourage, on a tout de même hésité pendant deux semaines avant de décliner l’offre. Un prime time sur le service public, ce n’est pas rien.
Mais les stratèges de la candidate cherchent à privilégier les formats longs, en face à face, où la quinquagénaire peut prendre le temps de mettre en avant des aspects de sa personnalité qu’elle estime méconnus. L’émission Une ambition intime diffusée sur M6, à laquelle Marine
Le Pen avait participé en octobre 2016, est une référence en la matière. Certains cadres n’hésitent pas à présenter l’interview réalisée par Karine Le Marchand comme « la meilleure émission de la dernière campagne ». A l’époque, la patronne du parti d’extrême droite avait enregistré un carton d’audience : 3,7 millions de téléspectateurs en moyenne, mieux que l’ancien président Nicolas Sarkozy. Face à une présentatrice versée dans l’empathie, un verre de vin blanc à la main, la fille de Jean-Marie Le Pen s’était montrée plus « humaine » aux dires de ses proches, allant même jusqu’à déclarer : « La caricature qui est faite du FN, ça fiche la trouille. » « Cette stratégie vise à passer de la proximité admirative de Jean-Marie Le Pen – c’était le chef, le « Menhir » – à une proximité d’identification avec sa fille. Elle montre aux Français qu’elle est comme eux : divorcée, mère, avec des cicatrices… » analyse Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop.
La même logique a poussé la candidate à la présidentielle à accepter le Rendez-vous de Ruth Elkrief, diffusé le 19 septembre sur BFM TV. L’émission, enregistrée deux jours plus tôt dans les salons d’honneur de l’hôtel de ville d’Hénin-Beaumont, devant une imposante cheminée blanche, a permis de dévoiler une Marine Le Pen avenante et détendue. « On commence par votre photo portrait », lui glisse l’intervieweuse dans un sourire, avant de dérouler pendant quarante-cinq minutes des considérations sur la couleur des yeux de la quinquagénaire – qui sont passés avec le temps du bleu au vert –, ou son amour du jardinage en compagnie de ses chats. Et cette mère de trois enfants de se confier sur sa « vie de femme » qui estime « avoir fait les choses dans l’ordre ». « Il y a un temps pour faire la fête, pour être insouciant, un temps pour faire des enfants et les élever, puis un temps pour s’occuper un peu plus de soi. C’est ce qu’on fait, nous, souvent, les femmes », a défendu la députée dans cet entretien où la politique n’était présente que par touches impressionnistes, avec des questions sur l’insécurité ou les récentes critiques émises contre elle par sa nièce Marion Maréchal. Un exercice qui a ravi les lepénistes : « Marine n’est pas une femme tronc derrière un pupitre. C’est une mère qui parle de la façon dont elle élève ses filles, et aussi une femme qui porte des robes. Ça détend tout le monde
Dans cette bataille de communication, ses collaborateurs veillent à ce que rien ne dépasse
de voir ça. » Pour l’occasion, son équipe avait elle-même fourni à BFM TV des photos de la candidate, par exemple celle où elle joue avec ses chats.
Dans cette bataille de communication, les collaborateurs de la présidente du RN veillent à ce que rien ne dépasse. Il n’est pas rare, au sein des rédactions, de recevoir un appel courroucé de son attachée de presse Caroline Parmentier après une photo jugée irrespectueuse de la candidate ou un dessin qui ne la met pas assez en valeur. Les entretiens de Marine Le Pen sont parfois accordés aux journaux à la stricte condition que la Une ne soit pas à son désavantage. « L’image que renvoient d’elle les médias ne me paraît parfois ni juste ni honnête, assume Caroline Parmentier. Je mène un combat quotidien contre les photos parfois monstrueuses qu’on trouvait dans le passé. » La communicante glisse au passage qu’une « très belle série » de clichés est disponible, réalisée cet été à La Trinité-sur-Mer pendant les vacances de la députée.
« Jean-Marie Le Pen utilisait déjà cette stratégie de l’intime pour s’imposer dans le paysage médiatique. Dès la présidentielle de 1974, il pose avec ses filles et sa femme », rappelle l’historienne Valérie Igounet. Estimant avoir trop souffert de cette médiatisation précoce, Marine Le Pen a jusqu’ici toujours refusé de poser avec ses enfants. Certains proches lui conseillent aujourd’hui de franchir ce cap, désireux d’effacer l’ombre du père au profit de l’image maternelle de sa benjamine. Selon nos informations, la patronne du RN se disait prête, ces dernières semaines, à faire sauter cette digue en organisant une séance photo avec ses deux filles et son fils, dans l’idée d’en faire une « belle série » à destination de Paris Match. « C’est une question personnelle qui ne regarde qu’elle, mais pour ma part j’y suis favorable. Car les Français connaissent mal Marine Le Pen », explique le député du Pas-de-Calais Bruno Bilde, influent conseiller de la présidente du RN.
Une tentative qui rappelle cet épisode de février 2017, quand l’équipe de campagne de la candidate avait diffusé un tract de quatre pages, imprimé à 4 millions d’exemplaires et calqué sur le modèle des magazines féminins. Une photo de Marine Le Pen, un sourire, et ce titre : « Je veux défendre les femmes françaises », comme s’il s’agissait d’une couverture d’Elle. Une publication diffusée dans le but de séduire l’électorat féminin, auprès duquel le parti a longtemps obtenu des scores plus modestes. A l’intérieur du dépliant, Marine
Ce travail d’image lui permet aussi de se concentrer sur la forme au détriment du fond
Le Pen posait de façon exceptionnelle avec l’une de ses filles, mais aussi avec ses deux soeurs, Marie-Caroline et Yann. En 2017, pour la première fois dans l’histoire du Front national, le gender gap (la différence de vote en fontion des sexes) semble avoir disparu chez les électeurs de Marine Le Pen. Une première victoire.
Ce travail d’image lui permet aussi de se concentrer sur la forme au détriment des questions de fond, comme celle du programme ou de sa crédibilité en tant que postulante à l’Elysée, les éternels talons d’Achille de l’extrême droite. Selon le dernier sondage Ifop, seuls 36 % des Français jugent que Marine Le Pen « a des solutions pour sortir de la crise », et ils ne sont que 35 % à trouver qu’elle a « la stature d’une présidente de la République ». Bruno Bilde nuance : « Ce sondage est très bon quand on le compare aux précédents. » Une analyse partagée par le sondeur Frédéric Dabi : « En termes de proximité avec les Français et de stature présidentielle, Marine Le Pen revient à la situation antérieure à 2017. Est-ce que nos concitoyens ont mis à distance la campagne électorale de 2017 et l’entre-deux tours raté ? Ce n’est pas impossible. » Pour envisager une victoire, il lui faudra néanmoins réussir à convaincre au-delà de ses cercles habituels de supporters. « Le nom Le Pen constitue toujours une digue infranchissable chez les personnes âgées, les cadres supérieurs et les diplômés », rappelle Frédéric Dabi. Et, pour eux, les photos d’enfants ou de chatons pourraient ne pas suffire.