A la recherche des victimes du franquisme
La coalition de gauche au pouvoir prépare une loi visant à aider les familles à retrouver les corps de leurs aïeux républicains tués pendant la guerre civile (1936-1939).
C «onnais-tu la date du mariage de ton grand-père ? » demande, par téléphone, le coordinateur de l’équipe d’archéologues bénévoles, alors en pleine opération de fouilles, à Alejandro Herrera, le descendant d’un combattant républicain tué pendant la guerre d’Espagne (1936-1939). Ce dernier doit consulter sa soeur : « Le 1er juin 1931 », fait-elle savoir. Le verdict tombe : « On vient de trouver une alliance avec cette date gravée à l’intérieur ! » Resté chez lui, Alejandro fond en larmes devant son écran. Après des décennies de recherches à l’initiative de sa mère, les ossements de son grand-père maternel, Eugenio Juan Insua, mort il y a quatre-vingt-quatre ans, viennent d’être identifiés dans une fosse commune du cimetière d’El Espinar, à 65 kilomètres au nord-ouest de Madrid.
En juillet 1936, Eugenio, âgé de 29 ans, rejoint les miliciens républicains sur la ligne de front, dans la sierra de Madrid. Posté au sud, il tente, avec ses camarades, de contenir l’offensive des franquistes, qui voulaient prendre la capitale par le nord. Le 25, Eugenio tombe dans une embuscade. Il est fusillé le jour même. Sa famille perd sa trace. Jusqu’à ce message de l’archéologue…
Sa fille, Rosa Maria Insua, une octogénaire à la santé fragile, va enfin pouvoir trouver la paix. « Ma mère a beaucoup pleuré », opine Alejandro. Cette découverte récompense le combat de toute une vie. Mais aussi le travail de l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH), qui a exhumé 16 autres miliciens du cimetière d’El Espinar.
Au total, 114 226 personnes ont disparu pendant la guerre civile et la répression qui a suivi, d’après les estimations du juge Baltasar Garzon (en 2008). Aujourd’hui, la coalition de gauche au pouvoir veut faciliter les recherches des familles. Le gouvernement de Pedro Sanchez prépare une loi, dite de « mémoire démocratique », qui prévoit de confier à l’Etat la responsabilité de retrouver les républicains disparus. Il s’agit aussi de réformer l’enseignement de la guerre et de la dictature à l’école et de pénaliser l’exaltation du franquisme. Approuvé le 15 septembre au Conseil des ministres, l’avant-projet n’en est qu’au tout début de son parcours législatif.
Selon l’exécutif, l’organisation publique des recherches pourrait permettre de retrouver 20 000 à 25 000 corps. Une accélération considérable, après tant de temps perdu. Les familles n’ont en effet pas pu faire la lumière sur le sort de leurs ancêtres républicains pendant les trente-six ans qu’a duré le franquisme (1939-1975). Les investigations sont ensuite restées compliquées durant la période de transition vers la démocratie. « Le coup d’Etat du colonel Tejero en 1981 a installé la peur dans bien des familles », témoigne Alejandro.
La génération suivante prend le relais au début des années 2000. Des collectifs s’organisent, affirment leur droit à donner une sépulture digne de ce nom à leurs grands-parents, obtiennent de maigres subventions. « Depuis vingt ans, un peu plus de 9 000 corps ont été exhumés », calcule Emilio Silva, président de l’ARMH.
En 2007, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero fait adopter une première loi qui rend un hommage aux victimes de la guerre civile et de la dictature. Le texte de l’exécutif actuel est censé aller plus loin en mettant la force de l’Etat – parquet dédié, registres, experts – à disposition des descendants. Certaines dispositions, toutefois, suscitent davantage d’opposition. La réforme des programmes scolaires, encore mal définie, fait tiquer des historiens.
Sans surprise, la Fondation Francisco Franco, dont l’objet est de « diffuser et de promouvoir l’étude et la connaissance de la vie, de la pensée, de l’héritage et de l’oeuvre de Francisco Franco », ne décolère pas. Elle est clairement ciblée par le projet de loi, qui permettrait de dissoudre les organisations pratiquant l’apologie de l’ancien dictateur. Son porte-parole, Jaime Alonso,
veut croire qu’un recours à la Cour constitutionnelle, déjà annoncé par le parti d’extrême droite Vox, annulera la disposition, au nom de « la liberté idéologique, protégée par l’article 16 de la Constitution ».
Quarante-cinq ans après la mort de Franco, les familles du camp des vaincus vont peut-être obtenir un peu de réconfort. Mais la réconciliation collective du pays devra encore attendre.