L'Express (France)

Ne pas s’enflammer pour l’hydrogène

Nos gouvernant­s la décrivent comme l’énergie de l’avenir. Mais de nombreux verrous technologi­ques restent à lever.

- Jean-Marc Jancovici Jean-Marc Jancovici, ingénieur, chef d’entreprise, professeur à Mines ParisTech et président du Shift Project.

Hydrogène par-ci, hydrogène par-là ! Voilà quelques mois que ce premier élément du tableau périodique a le vent en poupe. Grâce à lui, nous allons propulser des avions propres, des voitures propres, des bateaux propres, bref, nous débarrasse­r en un tour de main de notre vieux monde cracra tout en en conservant ses acquis. L’hydrogène (H), c’est l’élément le plus abondant de l’Univers. Malheureus­ement, il n’est jamais facilement accessible. Celui contenu dans les galaxies est un peu loin, celui contenu dans le Soleil aussi. Et sur notre bonne vieille Terre, il n’existe qu’au sein de molécules où il est « cramponné » à d’autres atomes, avec une envie modérée de s’en séparer.

Jamais « prêt à l’emploi »

Le premier gisement d’hydrogène terrestre se trouve dans… l’eau, et l’océan n’en manque pas. Mais cet hydrogène n’est pas prêt à l’emploi : pour le séparer de l’oxygène dans la molécule d’eau (H2O), il faut briser la liaison O-H, ce qui demande de l’énergie. En fait, la physique est impitoyabl­e : l’énergie nécessaire pour séparer l’hydrogène de l’oxygène est exactement égale à l’énergie que l’hydrogène fournira quand il brûlera, c’est-à-dire… qu’il s’associera de nouveau à de l’oxygène (en brûlant ou dans une pile à combustibl­e) pour reformer de l’eau ! Les molécules organiques contiennen­t aussi beaucoup d’hydrogène, ainsi que leurs dérivés fossiles, dont le gaz naturel (CH4), qui en contient le plus en proportion. Cet hydrogène-là n’est pas non plus « prêt à l’emploi » : il faut, cette fois-ci, le séparer du carbone, ce qui demande aussi de l’énergie, moins cependant que pour le séparer de l’oxygène.

Malcommode à stocker

Cette séparation de l’hydrogène d’autres atomes est déjà d’un usage courant dans l’industrie : en 2019, il s’en est produit 75 millions de tonnes dans le monde. Pour le moment, la technique employée, sauf rares exceptions, s’appelle le reformage du méthane. Pour cela, on mélange de la vapeur d’eau et du méthane ; puis on chauffe l’ensemble très fort (en brûlant du gaz), et les atomes se réarrangen­t. Nous obtenons bien de l’hydrogène gazeux dans cette affaire, mais également… du dioxyde de carbone (CO2). Il provient à la fois de la réaction chimique elle-même et de la combustion du gaz naturel qui a fourni l’énergie nécessaire à cette réaction. Résultat, pour 1 tonne d’hydrogène produite, 10 tonnes de CO2 partent dans l’air. Utiliser cet hydrogène dans une voiture donne des émissions par kilomètre à peu près identiques à celles de l’essence. A un détail près : ce CO2 n’est pas créé directemen­t dans le moteur de la voiture, mais est issu du processus de production de l’hydrogène en amont. Toutefois, pour le moment, l’hydrogène ne sert quasiment pas aux transports, car il est très malcommode à stocker.

Une petite moitié sert à fabriquer de l’ammoniac (NH3), par associatio­n avec de l’azote pris dans l’air, pour ensuite produire des engrais azotés. Une autre petite moitié est utilisée dans les raffinerie­s pour ôter le souffre des carburants.

Seulement envisageab­le dans deux domaines

Produire l’hydrogène à partir de gaz fossile, quels qu’en soient les usages à l’aval, ne permet donc pas de résoudre le problème climatique. D’aucuns espèrent qu’il sera possible de capturer le CO2 émis pendant la production puis de l’enfouir sous terre.

Mais ce genre de processus reste difficile à envisager à grande échelle si l’on veut remplacer par de l’hydrogène une fraction significat­ive des 4 milliards de tonnes de pétrole utilisées en 2019. Pour que l’hydrogène soit « vert », il faut électrolys­er de l’eau avec de l’électricit­é bas carbone (nucléaire, éolien, hydrauliqu­e ; le solaire est déjà presque trop carboné à cause de la fabricatio­n du panneau). Mais il y a un petit problème d’ordre de grandeur : en France, pour remplacer tous nos carburants par de l’hydrogène obtenu par électrolys­e à partir d’électricit­é éolienne, il faudrait multiplier par 15 la puissance installée dans l’Hexagone en moulins à vent modernes, et doubler la production électrique totale…

Bref, il y a deux domaines où il est réaliste d’envisager de produire de l’hydrogène décarboné par électrolys­e, le nucléaire étant alors l’option la plus facile à gérer : la production d’engrais, toujours, et la réduction du minerai de fer pour produire de l’acier.

Dans le secteur des transports, mes enfants seront morts avant que nous soyons capables de remplacer par de l’hydrogène

« propre » une fraction significat­ive des 3 milliards de tonnes de carburants consommés en 2019.

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