Le dragon nucléaire chinois à l’assaut du monde
Dans les prochaines semaines, Pékin mettra en service le premier réacteur de troisième génération conçu à 100 % par des entreprises du pays et compte le pousser à l’export.
Le contraste est saisissant. Loin des turpitudes françaises à ce sujet, la Chine est en train de se muer en nouveau géant de l’atome. Longtemps en retard dans le déploiement du nucléaire, Pékin en fait désormais un axe prioritaire de son équation énergétique. Indispensable, s’il veut atteindre la neutralité carbone à horizon 2060, comme l’a promis la semaine dernière le président chinois, Xi Jinping.
Mais plus encore que le climat, c’est un enjeu de souveraineté industrielle pour l’empire du Milieu. A ce titre, l’annonce, début septembre, du chargement du combustible – étape qui précède la mise en service et le raccordement au réseau – du réacteur n° 5 de la centrale de Fuqing, dans le sud-est du pays, a marqué les esprits. Et ce, bien au-delà des frontières chinoises.
Car Fuqinq n° 5 n’est pas qu’un simple réacteur de plus, dans un territoire qui en compte déjà 48, disséminés le long de la côte orientale. Il s’agit de la toute première unité dite de troisième génération, fondée sur la technologie HPR-1000. Une dernière-née baptisée « Hualong » (« dragon » en mandarin). Sa particularité : une conception intégralement chinoise, assurée par les deux géants locaux du secteur, China General Nuclear Power Corporation (CGNPC) et la Compagnie nucléaire nationale chinoise (CNNC).
L’aube d’une ère nouvelle pour Pékin. Avant Hualong, la Chine dépendait, du moins en partie, des français Areva et EDF (sur l’EPR de Taishan pour le second), ou de l’américain Westinghouse (avec la technologie AP1000, utilisée notamment à Haiyang), pour le déploiement industriel de nouvelles centrales – les réacteurs de troisième génération garantissant plus de sûreté pour les installations.
Son autonomie industrielle acquise, le gouvernement compte désormais enfoncer le clou. La dynamique annoncée n’est d’ailleurs pas sans rappeler la période faste du nucléaire français, dans les années 1970. Le géant asiatique compte ainsi ajouter six réacteurs à son mix électrique d’ici à la fin de l’année, dont quatre à partir de la technologie Hualong-1. Et sur la période 20202025, ce sont entre six et huit réacteurs par an qui devraient être raccordés au réseau.
De quoi ravir rapidement à la France son titre de super champion mondial du nucléaire. Avec ses 56 réacteurs pour une puissance de 61,5 gigawatts, l’Hexagone est, en réalité, déjà talonné par la Chine, qui disposait, début 2020, de 45,5 gigawatts de capacités, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique. « Il y a une vraie volonté politique chinoise de dépolluer son économie et de réduire progressivement la part du charbon. Le nucléaire est incontournable », décrypte Emmanuel Autier, associé de BearingPoint et spécialiste du marché de l’énergie.
Industrie à haute valeur technologique et outil de décarbonation de l’économie chinoise, la technologie nucléaire Hualong-1 fait la fierté de Pékin. Mais le dragon nucléaire chinois a été pensé pour le marché mondial depuis déjà plusieurs années. Dès 2015, la CGNPC et la CNNC ont créé une coentreprise – la Hualong International Nuclear Technology Co. – afin de déployer ce réacteur en dehors des frontières du pays.
Les débuts sont encourageants. Au Pakistan, les deux groupes chinois sont impliqués dans la construction de deux réacteurs de type Hualong, trois autres devant suivre. En Argentine, les travaux sur un réacteur de 800 mégawatts devaient débuter en 2020. « Pour la Chine, c’est un nouveau produit d’export. Aux côtés des Coréens et des Russes de Rosatom, qui sont déjà très présents à l’international, c’est un acteur avec lequel il faudra désormais compter sur le marché », poursuit Emmanuel Autier.
Dans le prolongement de sa stratégie des nouvelles routes de la soie, la Chine a nécessairement un oeil sur le Vieux Continent. Les électriciens chinois, en vue d’un déploiement sur la centrale britannique de Bradwell, ont ainsi déposé
devant le régulateur du Royaume-Uni un projet de certification de leur réacteur. « Avoir un tampon d’autorité de sûreté britannique, se faire certifier auprès d’une grande agence occidentale, est perçu positivement par un certain nombre de pays », analyse un expert du secteur du nucléaire. Un régulateur qui doit valider ou débouter la demande chinoise en 2021.
En réalité, le Royaume-Uni dispose d’une marge de manoeuvre réduite. Après le retrait, à la mi-septembre, du conglomérat mené par le japonais Hitachi sur l’île (pour un projet de réacteur au Pays de Galles), les Chinois constituent l’un des rares acteurs industriels (avec EDF, qui travaille d’ailleurs avec CGNPC à Hinkley Point) à être capables d’apporter de l’électricité nucléaire aux Britanniques, qui sont demandeurs.
Devant ces progrès rapides, la question se pose : Hualong-1 peut-il s’imposer comme la référence du nucléaire au niveau international et concurrencer la conception française (le très décrié EPR) ou américaine ? « L’avantage énorme, c’est qu’il s’agit de 1 gigawatt. C’est une taille très adaptée à la construction dans certains pays, qui ne seront pas forcément prêts à aller sur du 1,6 gigawatt ou sur la technologie française de l’EPR », prévient Emmanuel Autier, qui balaie également les doutes sur le volet
C’est un enjeu de souveraineté industrielle pour l’empire du Milieu
réglementaire. « Personne ne peut affirmer que les Chinois ne sont pas au niveau en matière de sûreté et de réglementation, ils sont aussi solides que les autres. »
Compétitif, Hualong-1 l’est aussi en termes financiers. Mao Qing, le concepteur en chef adjoint de ce réacteur, expliquait récemment dans le quotidien hongkongais South Morning China Post que le coût de construction du réacteur pourrait plafonner à 2,5 milliards de dollars par gigawatt lorsque la production atteindrait son rythme de croisière. Un prix comparable à celui des deux réacteurs EPR construits à Taishan par EDF (8 milliards de dollars pour 3,5 gigawatts).
Reste que, sur des investissements aussi sensibles que le nucléaire, la question des relations diplomatiques pourrait constituer un facteur limitant, en Occident du moins. « Les velléités chinoises à l’export se heurteront nécessairement au jeu géopolitique. On le voit déjà très bien avec Huawei et la 5G en Europe », nuance un connaisseur du nucléaire chinois, pas inquiet pour l’avenir de Hualong pour autant : « La Chine a de quoi faire avec son programme domestique. » De fait, seulement 5 % de la production électrique du pays vient de l’atome. Ce qui laisse de quoi remplir de nombreux carnets de commandes.